dimanche 15 février 2015

En Fin de Conte... 2/3



Cette suite m'a causé pas mal de soucis dans l'écriture. En développant l'histoire, je me suis rendue compte que mon concept était un peu ambitieux, pour se limiter à une série de trois nouvelles. Mais bon, je ne suis pas revenue sur ma décision : l'histoire sera bouclée en trois nouvelles, alors le développement sera par moment un peu laissé de côté. J'ai quand même essayé de développer les aspects les plus importants. Mais, du coup, un récit qui devait tenir en une dizaine de pages en compte maintenant vingt-huit. J'espère que ce second volet vous plaira !

Print by Glenn Arthur

Les Treize Coups de Minuit.
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Snow ouvrit péniblement les yeux. La lumière du soleil s’infiltrait déjà dans la chambre, au travers des rideaux. L'adolescente se redressa et regarda en bas du lit. Le matelas au sol était vide ; les couvertures étaient défaites. Red était déjà levée. Quelle heure pouvait-il bien être ? Snow ne voulait pas le savoir. Le temps s'était arrêté depuis la mort de Queen, depuis qu'elle avait pressé la détente et foutu son innocence en miettes. Elle n'avait plus mis le nez dehors, jusqu'alors. Elle avait trop peur de croiser les regards plein de compassion de tous ceux qui pensaient Queen disparue, car la dépouille de sa belle-mère demeurait introuvable et tous en ville continuaient d'espérer son retour. Snow se sentait terriblement coupable. Le remord la rongeait un peu plus chaque jour.
Depuis Noël, elle vivait dans l'appartement de Rosa, au-dessus de la boutique de vêtements. La vieille dame n'avait pas beaucoup de sympathie pour les gens d'Hartland, sans doute parce que tous regardaient sa petite-fille d'un mauvais œil. Mais elle avait pour Queen une sincère amitié, en conséquence de quoi elle s'était montrée bienveillante envers Snow, avait obstinément refusé qu'elle fût confiée aux services sociaux avant que sa belle-mère n'eût été retrouvée et l'avait accueillie chez elle. Rosa Wood n'était pas une personne particulièrement chaleureuse et, bien qu'elle se montrât familière, elle ne faisait preuve envers Snow d'aucune pitié. Jamais elle n'évoquait le nom de Queen, jamais même elle n'abordait le sujet avec l'adolescente. Rosa respectait son silence.
Snow ne savait pas depuis combien de temps elle vivait ici. Elle avait élu domicile dans la chambre de Red. La jeune fille avait insisté pour laisser son lit à Snow et passait depuis ses nuits sur un matelas juste à côté. Red était toujours levée bien avant elle. De ce que Snow savait, elle allait crapahuter dans les bois chaque matin, avant d'aller en cours, et y passait également un certain temps le soir avant de regagner l'appartement. Red avait beau avoir un certain sens de l'hospitalité, elle n'en était pas moins une personne farouche, et il était parfois difficile d'avoir pleinement confiance en elle. Cela dit, Snow voyait mal vers qui d'autre se tourner, puisque Red partageait et protégeait dorénavant son plus lourd secret.
Pour sa part, Snow n'était pas retournée au lycée depuis le drame qui avait précipité la perte de Queen. Plusieurs fois, Ashley lui avait fait parvenir des pâtisseries, par l'intermédiaire de Rosa, mais Snow n'avait pas daigné quitter la chambre pour saluer son amie lorsque celle-ci était venue sonner à la porte. Elle ne voulait voir personne, surtout pas Ashley. Se tenir en face de la bonté incarnée ne pouvait que lui rappeler à quel point elle-même était abjecte.
Snow passait ses journées dans ce lit, à se retourner dans tous les sens, à se laisser ronger par les remords, à essayer de trouver le sommeil. Jamais elle ne pouvait dormir sans qu'un cauchemar ne vînt la hanter. Ces mauvais rêves faisaient souvent écho au crime que la jeune fille avait commis. Durant plusieurs semaines, elle n'avait quasiment pas mangé. Elle avait considérablement maigri et flottait dorénavant dans ses vêtements. Rosa et Red la forçaient constamment à avaler quelque chose, et Snow, qui leur était reconnaissante, finissait toujours par céder. Cependant, ses repas n'étaient jamais copieux. Elle continuait à perdre du poids, enfermée seule dans cette chambre.
Snow se laissa retomber sur le matelas, se roula en boule et referma les yeux. Elle voulait que le temps s'arrêtât. Elle voulait effacer son crime. Mais il restait là, ce souvenir indélébile, et prenait de plus en plus de place. Il était devenu tellement lourd que l'adolescente ne pouvait plus avancer. Elle n'en trouvait plus la force. Elle était torturée. Elle n'allait nulle part. Elle voulait que le monde cessât de tourner.
- Snow !
La porte s'était ouverte et la lumière avait pénétré subitement dans la pièce. Red se tenait, droite comme un piquet, dans l’entrebâillement. Snow gémit avec agacement et s'enroula un peu plus dans ses couvertures, enfouissant son visage sous les draps. Red soupira et vint s'asseoir au bord du lit.
- Tu sais, dit-elle, ça ne sert à rien de rester là à broyer du noir. Je sais que c'est difficile. Je sais que tu as mal. Mais ce qui est fait est fait. Il est temps maintenant d'accomplir notre vengeance. Tu as dit être de mon côté, Snow. Je t'ai laissé du temps. Maintenant, j'ai besoin que tu me prêtes main forte.
Snow se redressa dans le lit et secoua sa chevelure brune afin de dégager quelques mèches rebelles de son visage.
- Regarde-toi ! s'exclama Red. J'ai l'impression de conserver un cadavre dans ma chambre, un corps qui se décompose tout doucement devant moi. Je ne vais pas te laisser crever sur place ! Debout, maintenant !
Red tira d'un coup sec les couvertures qui couvraient les chétives jambes de Snow. L'adolescente, toujours assise dans le lit, leva sur elle un regard vide.
- Bon sang ! grogna Red. Tu sais depuis combien de temps tu es là ?
L'autre secoua la tête, lentement. Plus rien ne trouvait de sens dans son esprit : ni le temps, ni les mots, ni la colère de son interlocutrice. Tout la laissait indifférente.
- Le temps s'est arrêté, murmura-t-elle.
- Non, Snow ! Ici la Terre ! Les aiguilles courent toujours sur l'horloge. Ça va faire un mois et demi que tu passes tes journées cloîtrée dans le noir comme un vampire ! Est-ce que tu es vivante ?
- Je ne sais plus...
- Permets-moi de t'informer : tu es toujours parmi nous ! Et tu t'es engagée à m'aider à arrêter la malédiction qui nous a fichues dans le pétrin. Vas-tu manquer à ton engagement ? Es-tu de ces personnes dont les paroles ne sont que du vent ? Ce n'est pas l'image que j'ai de toi. Ça me décevrait, si c'était le cas. Quand bien même, il te reste une bonne raison d'honorer ta promesse : comprendre ce qui t'es réellement arrivé apaisera tes maux. Mettre un terme au sortilège dont tu as été victime est la seule façon de faire ton deuil.
Snow regardait Red fixement, sans la moindre émotion. Il est dit que les yeux sont les fenêtres de l'âme : l'esprit de Snow baignait dans le néant, aussi vide et obscur que ses pupilles sombres. Red serra les dents.
- Je t'en prie, insista-t-elle avec une pointe de supplication.
- Je peux me lever, lâcha Snow. C'est sortir qui me pose problème ; voir tout le monde me considérer avec condoléance alors que je suis une putain de meurtrière !
Red poussa un profond soupir et se leva du lit.
- Je ne voulais pas en arriver là, lâcha-telle, mais dans ces circonstances...
Snow fronça les sourcils. Que pouvait-elle bien avoir en tête ? L'adolescente, fit doucement glisser ses jambes en dehors du lit afin de s'asseoir sur le rebord. Elle ne détachait pas le regard de Red, qui s'activait autour de son bureau. Elle finit par débusquer un morceau de papier froissé et deux crayons dans la pile d'objets insolites qui s'amassaient sur le petit meuble. La jeune fille revint alors vers Snow et s'accroupit devant elle. Elle posa la feuille sur le matelas et entreprit d'y tracer un quadrillage. Elle tendit un crayon à Snow.
- Tu sais jouer au morpion ? Disons que la première qui aligne quatre symboles remporte la partie. Si tu gagnes, je te laisse continuer à mener ta vie végétative dans cette chambre et même à te laisser mourir sur place, si c'est là ton désir. Si je gagne, en revanche, tu quitteras le lit. Tu sortiras, dehors, avec moi, pour mener à bien mon projet. Je ne te demandes pas si le deal te convient ; je ne te laisse pas le choix !
Snow ne pouvait pas la blâmer pour cela. C'était de sa faute à elle. Elle avait accepté ce pacte, elle devait beaucoup à Red. Cependant, rester enfermée ici était bien plus simple que d'affronter la réalité en face. Elle était lâche et égoïste. Elle le savait. Mais si au moins elle remportait la partie, ce comportement paraîtrait sans doute un peu plus légitime. Au moins, Red cesserait de se montrer insistante.
- D'accord, finit par accepter Snow. Mais ne te plains pas si je gagne.
- Ne t'en fais pas, je ne permettrais pas que ça arrive !
Red lui lança un clin d’œil malicieux. Qu'est-ce que ça signifiait ? Snow décida de rester sur ses gardes, au cas où son adversaire aurait en tête une quelconque tricherie ; un astucieux coup de bluff, quoi que ce fût qui pût la duper. Snow n'avait pas l'intention de se laisser avoir.
- Je prends les ronds et toi les croix, ça marche ?
Snow réfléchit un instant avant d’acquiescer. Le symbole ne semblait pas vraiment importer dans l'issue de la partie. Red pouvait bien prendre celui qu'elle voulait !
- Tu veux commencer ? demanda-t-elle à Snow.
Cette dernière craignait une question piège. Si elle acceptait de jouer la première, son adversaire pourrait aisément construire sa stratégie en fonction de cette première action. Cependant, si elle refusait, elle lui laissait un tour d'avance.
- On peut décider ça au pierre-feuille-ciseau, si tu hésites trop ! On ne va quand même pas y passer la journée !
Snow hocha la tête. Ça semblait être la meilleure alternative : laisser le hasard décider lui-même de cela. Simultanément, les deux jeunes filles cachèrent une main dans leur dos. Elles contèrent en chœur jusqu'à trois avant de tendre le bras. Red avait choisi le ciseau. La pierre de Snow eût tôt fait de l'écraser.
- À toi l'honneur, chantonna la perdante. Ton choix était assez prévisible, quand on y songe. Tu es aussi renfermée sur toi-même et difficile à percer qu'un cailloux !
Cette remarque affola Snow. Red avait-elle perdu volontairement ? Cette partie était-elle bien truquée ? C'était trop tard, maintenant. C'était à elle de placer le premier symbole. Il ne fallait pas se tromper. Snow fit ce qu'elle jugea le plus sûr et plaça sa première croix au centre de la grille. Red réagit immédiatement et leurs actions s'enchaînèrent à une vitesse folle. À chaque fois que Snow était proche de la victoire, Red venait contrer son alignement et l'obligeait à tout recommencer. Et, doucement, de son côté, en éparpillant ses cercles de part et d'autre de la grille, elle commençait à se dessiner un bon nombre d'opportunités. Snow fut contrainte d'opter pour une tactique défensive. Les rôles furent subitement inversés et elle se retrouva forcée de lutter contre les attaques de Red, renonçant à choisir de bons emplacements.
Le nombre de cases vides sur la grille diminuait à vue d’œil, tandis que la tension dans la chambre était à son comble. Jamais une partie de morpion n'avait été aussi épique ! Pourtant, Red semblait sereine et parfaitement sûre d'elle. C'était déconcertant. Voyant ses opportunités de remporter le jeu faiblir, Snow résolut d'aligner trois croix à un endroit qui lui paraissait stratégique. Red n'essaya même pas de contre-attaquer. Elle traça lentement un nouveau cercle à l'autre bout du plateau et, d'un trait assuré, le barra, lui et les trois autres qui se trouvaient dans son alignement.
- Tu as baissé ta garde trop tôt, déclara posément Red. C'est dommage, cette partie devenait franchement intéressante.
Snow n'avait pas le cœur de lui répondre. Elle s'en voulait d'avoir paniqué et de lui avoir quasiment offert la victoire. Cela dit, il fallait bien le reconnaître, Red était une adversaire redoutable. Snow ne savait pas si elle mourrait d'envie de savoir ce qui se déroulait dans sa tête lorsqu'elle élaborait son plan d'attaque, ou si cela l'effrayait par avance. Red semblait ne rien laisser au hasard dans sa façon d'agir. Snow ne pouvait pas s'empêcher de se demander comment une personne aussi méticuleuse avait pu échouer à commettre le crime parfait. Comment le meurtre de Byron Wolf avait-il pu être mis à jour si aisément, alors même que nul n'était capable de mettre la main sur le corps de Queen ? Elle n'osait néanmoins pas interroger Red à ce sujet.
- Bon, maintenant que j'ai gagné, lança celle-ci en se redressant, on pourrait peut-être se mettre au travail !
- Maintenant ? s'étonna Snow.
- Le temps presse. Je ne sais pas si tu es au courant, mais nous sommes déjà le treize février.
- Et alors ?
- La Saint-Valentin, ça te dit quelque chose ? C'est demain. Ça ne signifie peut-être rien pour toi. Pour moi non plus, d'ailleurs. Une fête de l'amour, ça paraît franchement niais, surtout dans une ville où chaque sentiment ne semble être qu'un vulgaire masque. Mais à Hartland, les gens raffolent de ces futilités rose bonbon. Ils espèrent toujours qu'une fête leur remontera le moral. Pourtant, même si tous de voilent la face, chaque année ils sont forcés d'admettre que c'est aussi le jour idéal pour qu'une malédiction s'abatte. Aucun jour n'est rose à Hartland, surtout pas ceux durant lesquels on aspire à la douceur et au réconfort.
Snow demeura muette un instant, à considérer son interlocutrice avec gravité.
- Qu'est-ce qui se passera, demain ? demanda-t-elle.
- C'est ce qu'il nous faut découvrir, affirma Red avec détermination. Je ne veux pas attendre un nouveau bain de sang pour connaître dessein de notre ennemi commun !
Snow approuva d'un hochement de tête. Il était temps de ravaler son égoïsme. Elle ne pouvait pas continuer à s'apitoyer sur son sort en ignorant la menace qui planait sur le reste de la ville. Personne ne voulait ouvrir les yeux. Personne ne voulait regarder la réalité en face et entreprendre de mettre un terme à la série de drames qui empoisonnait le quotidien de quelques centaines individus. Mais Red et elle savaient que tout cela n'était pas le fruit du hasard. Si elles ne cherchaient pas à comprendre ce qui, tapis dans l'ombre, tirait les ficelles d'Hartland, alors personne ici ne connaîtrait jamais la paix, aucune des victimes de cette prétendue malédiction ne serait jamais vengée et elles-mêmes seraient toujours hantées par des questions sans réponses.
Snow se leva d'un bond et, en une fraction de seconde, se tînt debout devant Red.
- Sortons, la pressa-t-elle. Je veux mettre un terme à tout cela, et vite !
La jeune fille s'apprêtait à passer la porte de la chambre d'un bon pas lorsque la main de Red lui agrippa le poignet et la retint. Snow se retourna et l'interrogea du regard. La jeune fille retira sa main et esquissa un sourire.
- Snow, dis-moi que tu n'étais pas sur le point de sortir en chemise de nuit ! rit-elle.
L'adolescente baissa les yeux sur ses vêtements. La gêne prit aussitôt place sur son visage.
- Bien sûr que non, mentit-elle. Je m'avançais juste un peu, comme ça...
Elle lu dans le regard de Red qu'elle n'en croyait pas un mot, mais refusa obstinément de reconnaître sa négligence. Tout en enfilant ses vêtements, elle persista à se trouver toute une liste de justifications, toutes moins crédibles les unes que les autres, sous le regard amusé de Red.


Snow passa la porte de l'épicerie. Red lui emboîta le pas et la referma derrière elle, tout en défaisant les boutons de son manteau rouge. Elles essuyèrent leurs chaussures pleines de neige sur le paillasson. L'hiver n'en finissait pas ! La pellicule blanche qui recouvrait la ville s'élevait si haut à présent que toutes les routes reliant Hartland au reste du monde étaient impraticables. La ville entière était comme cristallisée, piégée dans cette interminable tempête de flocons.
Belle souhaita la bienvenue aux clientes avec un sourire chaleureux
- Contente de te revoir, Snow ! s'exclama-t-elle.
- Moi de même, répondit timidement l'adolescente.
Après quoi, elle s'empressa de rejoindre Red, qui s'était déjà avancée dans un rayon. Comme les autres enseignes qu'elles avaient pu croiser en chemin, l'épicerie avait été décorée spécialement aux couleurs de l'amour. Des affiches mises en avant des rayons aux ballons qui flottaient ça et là, en passant par d'irrésistibles oursons en peluche et toutes sortes de friandises en forme de cœur, la Saint-Valentin avait pleinement investi les lieux. Snow fut même surprise de remarquer, sur le comptoir de la boucherie, un imposant cœur sculpté dans des pièces de viande rouge. Cette vision lui donna froid dans le dos.
Red paraissait connaître le magasin comme sa poche. Elle se dirigea sans la moindre hésitation vers une étagère et dénicha en un temps record un minuscule dé à coudre destiné à Rosa.
- Tu viens souvent ici ? l'interrogea Snow.
Red hocha la tête.
- Dès que j'en ai l'occasion. C'est le seul endroit dans cette ville où je peux recevoir un salut aimable.
- Je comprends, quand je vivais à Williston...
Le doigt de Red vint se plaquer sur la bouche de Snow, l'empêchant d'achever sa phrase. La fille au manteau rouge indiqua d'un mouvement de tête le comptoir du boucher. Erwan venait de surgir de l'arrière boutique en claquant violemment la porte. Il serrait quelque chose dans son poing. Son visage crispé traduisait une rage d'une rare intensité.
- Belle ! hurla-t-il en tendant en l'air ce qui semblait être une photographie.
La caissière s'avança vers lui d'un pas craintif.
- Qu'est-ce que tu fous encore avec ça ? aboya-t-il.
- Erwan...
Belle essaya de se saisir du cliché que son époux avait en main, en vain.
- Il y en a toujours eu que pour lui, pas vrai ? grogna Erwan. Il a toujours été le seul pour toi, alors dis-moi ce que tu fous là ! Pourquoi est-ce que tu m'as épousé, pauvre salope ?
Belle tenta de l'apaiser en tendant lui prenant doucement le bras.
- Erwan...
Mais il la repoussa d'une violente gifle. La jeune femme s'effondra au sol.
- Espèce de chienne ! Demande-moi pardon !
- Je te demande pardon, Erwan, murmura Belle en appuyant sa main sur sa joue douloureuse.
- Je n'entends pas ! Tu n'as pas eu ton compte ? Tu penses qu'une garce dans ton genre devrait être mieux punie que ça ?
Avant qu'elle n'eût le temps de se défendre, Erwan empoigna le col de sa robe et la força à se relever. Agrippant les frêles épaules de Belle de ses deux mains de brute, il la poussa contre le comptoir. La jeune femme ferma les yeux et serra les lèvres. La main colossale d'Erwan s'abattit sur sa cuisse et fit glisser sa jupe vers le haut.
À côté de Snow, Red semblait en ébullition. Elle gardait les points serrés, tant et si bien que ses ongles s'enfonçaient presque dans sa peau. Ses yeux débordaient de colère. Elle fit un pas en avant. Snow tenta de la retenir par la ceinture de son manteau. Mais il était trop tard ; déjà Erwan avait tourné la tête dans leur direction et les foudroyait du regard. Il gueula :
- Foutez le camps, les enfants !
Red haussa les sourcils avec une pointe d'insolence et leva la main. Le dé à coudre recouvrait le haut de son annulaire.
- Je dois partir sans payer ?
Erwan poussa un grognement et s'écarta de sa femme.
- Occupe-toi d'elles, au lieu de rester là comme une potiche !
Alors que Belle, les yeux baissés, regagnait sagement la caisse, son mari déchira la photographie et en balança les chutes dans la poubelle normalement destinée aux déchets de la boucherie. Après quoi, il écrasa de ses deux poings la sculpture de viande exposée sur le comptoir et disparut par la porte de derrière.
- Qu'est-ce que c'était ? interrogea Red en réglant son achat.
- Ne t’inquiète pas, la rassura Belle, tout le monde pète les plombs, parfois.
- Mais ça n'est acceptables que dans certaines mesures.
Visiblement pressée de changer de sujet, la vendeuse se tourna vers Snow :
- Ashley n'arrête pas de me demander de tes nouvelles. Tu devrais passer la voir, si tu te sens un peu mieux.
En sortant de l'épicerie, Snow était perplexe. Elle sentait que c'était également le cas de Red. Lors de la scène de ménage qu'elles avaient surprise, elle avait pu lire dans le regard de cette jeune fille farouche à quel point ça l'avait affectée. Ce n'était pas la première fois que Red quittait sa carapace. Elle avait un point faible, mais Snow n'était pas encore capable d'établir lequel exactement.
- Tu vas aller voir Ashley ?
Snow avançait en fixant ses bottes.
- À ton avis, pourquoi est-ce qu'elle est passée par Belle pour prendre de mes nouvelles ?
- Elle est déjà passée au magasin plusieurs fois, tu n'as pas voulu bouger de ta chambre. Belle m'a demandé comment tu allais à chaque fois que je suis venue à l'épicerie. Pour Ashley, c'était sûrement plus simple de s'informer auprès d'une personne qui n'a pas de sang sur les mains.
- Si elle savait !


Snow frappa à la porte de la maison d'Ashley. Ce fût sa tante – la femme la plus acariâtre que Snow avait jamais rencontrée – qui lui ouvrit. Après un temps d'hésitation, elle appela sa nièce. Snow eut l'intuition qu'elle n'entrerait jamais dans cette maison. Tout le monde avait des choses à cacher à Hartland. Seulement, certaines personnes étaient plus soucieuses que d'autres de protéger leurs sombres secrets. La vie d'Ashley n'était pas rose ; sa tante avait tout intérêt à ce que personne ne découvrît jamais à quel point.
Ashley enfila son manteau rapiécé et se précipita dehors. En silence, les deux jeunes filles prirent la direction de l'aire de jeux. Elles s'assirent sur le toboggan et se considérèrent avec gène.
- Ça fait longtemps, remarqua Snow.
Ashley acquiesça.
- Je suis désolée de ne pas avoir été là pour te soutenir dans les moments les plus durs. Mais tu comprends, Red...
- Elle a de bons côtés, tu sais, la défendit Snow.
Évidemment, elle ne pouvait pas lui révéler ce que Red avait accompli pour elle. Mais elle prit le parti d'exprimer sa reconnaissance envers elle et Rosa, qui l'avaient accueillie et entretenue durant tout ce temps.
- Je suis sûre qu'on retrouvera la trace de Queen, déclara Ashley. Elle ne t'aurait pas abandonnée. Quelque chose a dû se produire. J'espère juste que rien ne lui ait arrivé.
Snow serra les dents. Garder le silence était difficile, surtout face à un secret aussi honteux que son crime. Parce que c'était la seule chose qu'il semblait rationnel de répondre, elle finit par lâcher :
- Moi aussi.
Ashley semblait embarrassée. Snow n'avait aucune idée de la façon dont elle aurait pu détendre l'atmosphère. Elle creusait dans sa tête, à la recherche d'un sujet suffisamment gai. Mais tout était ténèbres, dans son esprit. Nul anecdote n'était dépourvue d'éléments obscurs. Ashley lui facilita la tâche en brisant elle-même le silence :
- J'ai quelque chose à te dire.
Snow leva sur elle un regard interrogateur.
- Je peux imaginer les souffrances que tu endures, mais je suis plus convaincue que jamais qu'il ne faut pas perdre espoir. Garde l'espoir, parce qu'un jour tout s'arrange. Tu dois te dire que je suis bien naïve...
- Non, ton optimisme fait plaisir à voir. J'aimerais être capable d'autant de positivité.
- Il m'est arrivé quelque chose d'incroyable, Snow !
L'adolescente fronça les sourcils, dans l'attente de plus de détails. Pour seul information, Ashley sortit de sa poche un morceau de journal chiffonné et le lui glissa dans la main. Snow tira sur les bords pour le déplier et le parcourut avec attention. Il s'agissait d'une publicité pour une agence au nom enchanteur de La Bonne Fée. Le dessin d'une petite magicienne ailée tenant dans sa paume ouverte un cœur resplendissant figurait sous l'intitulé « Trouvez l'amour en un coup de baguette ! ». En bas de la page, en petits caractères, étaient détaillées les formalités de la procédure. Il suffisait d'envoyer un courrier à une adresse donnée dans lequel était requise une présentation la plus complète possible ainsi que les coordonnées de l'envoyeur. La Bonne Fée se chargerait ensuite de mettre en lien le cœur esseulé avec sa future âme sœur, selon des points communs relevés dans leurs lettres. Mis à part le timbre et l'enveloppe pour l'envoi, cela ne demandait aucun frais. C'était presque trop simple pour être possible.
- Tu crois à ces trucs-là ? demanda Snow.
- Pas toi ? s'étonna Ashley.
- Je suis méfiante. Je me demande au nom de quoi une personne voudrait passer sa journée à décortiquer les écrits d'autrui et à jouer les apprentis Cupidons sans rémunération. Tu ne trouves pas ça louche, toi ?
- C'est la Saint-Valentin, après tout. Le monde est rempli de doux rêveurs.
Snow rendit son morceau de journal à Ashley en faisant de gros yeux.
- Un type m'a répondu, ajouta celle-ci.
- Il a un nom, ce type ? s'informa Snow.
- Henri. La Bonne Fée a vraiment bien fait son travail. On a un tas de points communs. C'est vraiment un plaisir de lire ses lettres et de lui répondre !
- Depuis combien de temps ça dure ?
- Un peu plus d'une semaine. Je crois qu'il me plaît vraiment.
Snow poussa un soupir. Elle s'en voulait de ne pas parvenir à partager la joie de son amie, mais cette histoire était si peu croyable qu'elle en devenait suspecte.
- Je dois rentrer, s'excusa-t-elle. Promets-moi de faire attention, Ashley !
- C'est promis !


Red hocha la tête avec gravité et ramena ses jambes contre sa poitrine, posant ses pieds sur la chaise de son bureau.
- C'est tout ? se consterna-t-elle. Tu ne lui as pas demandé plus de détails ?
- Non, déclara Snow en se laissant tomber sur le lit. Je me voyais mal me lancer dans un interrogatoire alors que je n'ai pas parlé à Ashley depuis des semaines.
- Mais Ashley et toi êtes de bonnes amies, insista Red. C'est normal de s'intéresser à la vie sentimentale de ses amis, non ? Ça ne change rien que vous ne vous soyez pas vues depuis un long moment.
Snow soupira.
- J'ai besoin de plus d'informations, ajouta Red.
- Écoute, je ne suis pas douée pour discuter d'histoires de cœur ! Ce n'est pas contre toi, ou contre Ashley, c'est juste que ce n'est pas mon truc. Je n'y connais rien, moi ; je n'ai jamais été amoureuse. Quand les autres me déballent leur vie sentimentale, je ne me sens absolument pas concernée et malgré moi j'oublie d'écouter.
- Tu as un sérieux problème, Snow !
- C'est moi qui ai un sérieux problème ? Rappelle-moi laquelle de nous deux fuit le monde et se réfugie dans les bois parce qu'elle ne parvient pas à affronter le regard des autres !
Red se redressa d'un bond en renversant sa chaise.
- Tu vas trop loin, Snow ! Je n'ai pas envie de me disputer avec toi. Essaye de mettre ton manque affectif de côté et fais au moins semblant d'en avoir quelque chose à foutre !
Snow se leva à son tour brusquement.
- Je n'ai pas de manque affectif !
Mais son interlocutrice avait déjà quitté la chambre. La jeune fille se laissa retomber sur le lit. Elle n'avait pas de manque affectif ! Elle avait toujours reçu beaucoup d'amour. Avant que tout son monde n'eût volé en éclats, elle avait eu de nombreux amis, un père attentionné et même Queen, sa belle-mère, avait eu pour elle une sincère affection. Elle n'avait jamais été amoureuse et elle n'enviait en rien ceux qui l'étaient. L'amour rendait aveugle et fou, disait-on. Elle n'avait pas besoin d'être dans l'erreur une fois de plus ! De toute façon, avec la chance qu'elle avait, si elle venait à aimer quelqu'un, elle perdrait cette personne tout comme elle avait perdu jusque là tous ceux auxquels elle tenait.
- Pourquoi est-ce que je pense des trucs pareils ? grogna-t-elle.
Elle roula sur le lit en enfouit sa tête dans le matelas pour étouffer un hurlement de rage. La porte s'ouvrit en grinçant. Red passa sa tête par l’entrebâillement.
- Ça y est, ta crise est terminée ? Le repas est servi.
Snow essuya d'un coup de bras les quelques larmes qui avaient roulé au bord de ses yeux et quitta le lit.


C'était la première fois depuis qu'elle était ici que la jeune fille daignait se déplacer jusqu'à la table de la cuisine pour manger avec Red et Rosa. L'ambiance du dîner fut relativement calme. Snow tentait tant bien que mal de retrouver l'appétit. Quant à Rosa et sa petite-fille, elles parlaient peu. La plus longue conversation qu'elles entretinrent portait sur la recette du ragoût concocté par la vieille femme. Alors qu'elle les savaient proches l'une de l'autre, leur silence respectif interpella Snow. Était-ce sa présence qui les mettait mal à l'aise ?
Plus tard dans l'après-midi, alors qu'elles s'étaient retirées dans la chambre, Snow interrogea Red. Courbée sur son bureau, occupée à griffonner quelque chose sur une feuille, la jeune fille farouche ne détourna même pas la tête vers son interlocutrice pour lui répondre.
- Non, ça n'a rien à voir avec toi. Rosa sait que je n'aime pas trop parler. Elle évite de poser des questions. Elle ne me demande rien sur l'école parce qu'elle sait pertinemment que ça se passe mal. Elle ne me demande pas si j'ai des amis parce qu'elle sait aussi que tu es la seule personne de mon âge qui ose me fréquenter. Je crois qu'elle t'aime bien, pour ça, davantage que parce que tu es la belle-fille de Queen. Je crois même qu'elle t'admire un peu.
- Qu'elle m'admire ? s'étonna Snow. Qu'est-ce qui te fait penser ça ?
- Eh bien, tu le sais, j'ai une mauvaise réputation. Et même si Rosa est déterminée à clamer mon innocence jusqu'à sa mort, et même si elle déteste tous ceux qui continuent à me regarder de travers, elle a conscience que les gens ne m'accepteront jamais. Elle sait que la plupart d'entre eux verront toujours en moi l'assassin, le monstre. C'est plutôt courageux de ta part d'ignorer tout ça.
- Pas quand on connaît la totalité de l'histoire. J'ai bien été obligée de te faire confiance.
Red releva la tête de sa feuille et dévisagea Snow.
- Alors, demanda-t-elle, au fond tu me détestes ?
Snow ne répondit pas. Non pas car elle avait peur de mettre Red en colère, mais tout simplement parce qu'elle ignorait ce qu'elle éprouvait. Red l'intriguait. Red lui faisait peur. Mais Red avait été là pour elle. Elle ne la détestait pas. Elle n'était pas certaine de l'appréciait pour autant.
Face à son silence, Red baissa les yeux et s'empressa de lancer un autre sujet.
- J'ai bien réfléchi, déclara-t-elle. Ashley a dit qu'elle correspondait avec ce type par lettres. Or, la neige a rendu la ville inaccessible depuis des semaines. Aucun courrier ne peut arriver en ville, ni en sortir. Tu comprends ?
Snow hocha la tête. Elle conclut :
- Donc Henri se trouve à Hartland. La Bonne Fée aussi.
- Et qui serait susceptible de connaître l'identité de l'un ou de l'autre ? poursuivit Red. Qui prétend tout savoir sur ce qui se passe dans cette ville ?
- Alice.


Alice était les yeux et les oreilles d'Hartland, c'était ce qu'elle disait. Mais – et Snow l'avait appris à ses dépends – la vérité qu’énonçait Alice relevait en grande partie de son imagination. En lui rendant visite, ce jour-là, la jeune fille demeurait méfiante. Dans ce que lui apprendrait Alice, elle savait qu'il y aurait autant d'éléments véritables que de faits inventés. Elle seule devrait faire le tri parmi ces informations pour espérer comprendre avec qui Ashley avait été mise en relation.
Snow s'apprêtait à enfoncer le bouton de la sonnette quand la porte de la maison s'ouvrit sur l'adolescente aux allures de fillette.
- Je t'attendais, lâcha Alice.
Son ton était si neutre qu'il en devenait terrifiant.
- Entre donc.
Snow s’exécuta, peu rassurée. Alice la conduisit à l'étage, dans sa chambre. Outre un lit et une armoire, la pièce était remplie d'un étonnant nombre de jouets. Une montagne de peluches s'amoncelait dans un coin de la chambre, tandis qu'un autre était occupé par une maison de poupée. Au centre, se tenait une table où deux femmes de porcelaine richement vêtues étaient installées pour prendre le thé, en face d'un grand ours en peluche muni d'un monocle et d'un haut-de-forme.
Alice attrapa le dossier d'une chaise vide et invita Snow à y prendre place, à côté de l'une des poupées. Elle obéit sans poser de question. Alice s'assit en face d'elle, à côté de l'ours.
- Je sais que Queen n'a pas disparu, dit-elle. Elle est morte, n'est-ce pas ?
Snow déglutit. L'atmosphère de cette chambre était si pesante qu'elle se sentait déjà perdre tous ses moyens. En la faisant entrer ici, Alice avait sans doute voulu lui tendre un piège. Snow sentait les regards de dizaines de personnages inanimés se poser sur elle. Sa voisine de porcelaine au visage froid la toisait du coin de l’œil, avec une certaine vanité. L'ours, assis en face, la dévisageait avec insistance derrière le verre qui grossissait son orbite.
- Tu n'avais pas le choix, ajouta Alice. Tu devais te débarrasser d'elle avant qu'elle ne t'élimine la première. Ne t'en fais pas, ton secret est bien gardé, tant que tu ne fais pas la même erreur que Red Wood.
Snow fronça les sourcils à l'évocation de ce nom.
- Red ? Qu'est-ce que tu sais d'elle, au juste ?
- Vous êtes pareilles, elle et toi, Snow. Le loup l'aurait dévorée si elle ne l'avait pas tué la première. Ça aussi, mes rêves l'avaient prédit. Seulement, Red est revenue en ville les mains en sang et a avoué d'elle-même son crime avant même que le corps n'ait été découvert. Si tu l'avais vue, tellement fière d'elle ! Les gens n'ont pu la prendre que pour une psychopathe.
Snow demeura bouche bée devant ce récit. Se dénoncer soi-même, ça paraissait tellement invraisemblable ! Peu importait le crime que Red avait commis. À cet instant, Snow ne pouvait qu'admirer son courage. Elle connaissait bien Red, à présent. C'était une personne assez marginale, mais certainement pas une folle accroc au meurtre. Elle n'avait pas pu se rendre par simple fierté, comme le laissait entendre Alice, mais sans doute parce qu'elle pensait que c'était ce qu'il était juste de faire.
- Alice, toi qui prétends tout savoir sur tout le monde en ville, dis-moi qui est ce Henri à qui Ashley envoie des lettres ?
Un large sourire se dessina sur les lèvres d'Alice.
- Henri, chantonna-t-elle, c'est le prince d'Ashley, bien sûr ! Celui qui va la délivrer de sa misérable existence !
- Et il va surgir sur son cheval blanc, c'est ça ? s'énerva Snow. C'est des conneries, tout ça, Alice ! S'il y avait eu un certain Henri à Hartland, Ashley le connaîtrai sans doute déjà ! Cette agence de bonne fée, ça a juste l'air d'être un coup foireux, mais Ashley est bien trop naïve pour s'en rendre compte : l'amour l'a rendue aveugle ! Tout le monde est aveugle ici, de toute façon ! Vous vous plongez tous dans vos foutues fêtes, vous essayez d'inventer une autre réalité, vous faites comme si tout ce qui s'est produit ici était normal ! C'est peut-être parce que les gens d'Hartland sont aussi placides et niais que la malédiction a su se faire sa place parmi eux !
Alice cligna des yeux sans dire un mot. Elle finit par retrouver le sourire et lâcha sèchement :
- Les rêves ne mentent jamais !
Excédée, Snow se releva, les mains encore appuyées sur la table. Au même moment, un gros coucou suspendu au mur se mit à sonner et lui causa un violent sursaut.
-  L'heure du thé, annonça calmement Alice. Tu en veux une tasse, Snow ?
- Non merci, déclina-t-elle. Je n'avalerai rien qui vienne de toi. Qui sait, ça pourrait avoir été mystérieusement empoisonné !
C'est une Alice au visage déconfit que Snow quitta en passant la porte de la chambre. Elle ne supportait plus cette atmosphère étouffante. Pas étonnant qu'Alice fût devenue complètement dingue, à force d'habiter un endroit pareil !


Après cette entrevue aussi brève qu'éprouvante, Snow regagna l'appartement, au-dessus de la boutique de vêtements. Elle y trouva Red, assise dans le canapé, courbée sur elle-même, la tête entre les mains.
- Red ? Est-ce que tout va bien ?
L'adolescente leva le regard sur elle. Ses yeux étaient rouges et gonflés.
- Snow, je ne t'ai pas entendue rentrer. Est-ce qu'Alice a...
- Tu as pleuré ? la coupa Snow. Je vois que tu as pleuré. Qu'est-ce qui est arrivé ?
Elle rejoignit Red dans le canapé et entoura d'un bras ses épaules. Visiblement dans un moment de faiblesse, la jeune fille oublia d'être farouche et laissa aller sa tête contre l'épaule de Snow.
- La routine, soupira-t-elle. Rosa s'est encore enfilé des verres d'alcool à n'en plus finir au bar. On est venu me trouver pour que je l'empêche d'agresser quelqu'un pendant qu'elle était bourrée, parce que personne d'autre n'arrive jamais à la calmer dans ces moments-là. Et puis j'ai dû la traîner jusqu'ici et la porter dans son lit. La routine !
Snow resserra son étreinte autour d'elle. Elle éprouvait pour Red une sincère compassion, mais elle ignorait ce qu'elle pouvait faire pour lui venir en aide.
- Tu es courageuse, finit-elle par déclarer. Et je ne le pensais pas, quand j'ai dit que tu avais un sérieux problème.
- Ce n'est pas grave. On s'emporte tous, parfois. Moi non plus, je ne le pensais pas, quand j'ai dit ça. Je veux dire...
- Tu avais raison, pourtant. Ce n'est pas que je n'ai jamais tenu à personne, c'est que j'ai été séparée de tous ceux auxquels je tenais. Et maintenant j'ai peur de blesser encore quelqu'un, peur de croire encore en des illusions. Parfois, je me sens tellement seule. Peut-être que je suis juste jalouse d'Ashley...
La main de Red vint s'agripper au poignet de la jeune fille. Elle leva sur elle ses grands yeux bleus, au fond desquels luisaient encore un flot de larmes. Elle murmura :
- Tu n'es pas seule, Snow.
L'adolescente n'eut le courage de répondre que par un timide sourire. Bien que profondément touchée par l'amitié de Red, elle n'arrivait pas à la lui rendre. Elle ignorait pourquoi. De plus en plus gênée, Snow dégagea son bras du dos de Red et entama le récit de sa conversation avec Alice, pour ce qui concernait le cas d'Ashley. Red l'écouta attentivement.
- Encore ces rêves ! maugréa-t-elle. Alice ne nous apprendra rien de plus. Tout ce que je sais, c'est que si elle l'a prédit, ça ne peut être qu'une mauvaise chose.
- Tu crois à ses visions, maintenant ? s'étonna Snow.
- Ce dont rêve Alice a toujours un sens. C'est la chose que j'ai le plus de mal à comprendre. Quel lien y a-t-il entre ses rêves et les tragédies qui nous tombent dessus ? Parce qu'évidemment, il y en a un. Si Alice ne t'avais pas raconté son rêve, Queen serait encore parmi nous à cette heure. Et si elle ne me les avait pas racontés...
Red n'acheva pas sa phrase. Snow resta pendue à ses lèvres, dans l'attente d'une conclusion. Jamais elle ne vint. Red se mordit les lèvres, se leva d'un bond et affirma qu'elle était morte de faim.
Rosa n'était toujours pas sur pied. Le réfrigérateur était presque vide. L'après-midi touchait à sa fin et il était un peu tard pour aller faire des courses, selon Red, surtout après ce qui s'était passé à l'épicerie plus tôt dans la journée. L'adolescente suggéra de dîner au café.
- C'est moi qui invite. Il vaut mieux en profiter, il y aura foule demain soir !
Snow ne se fit pas prier. Elle avait peu mangé à midi et les émotions de la journée avaient réveillé son appétit.


Assises face à face à une table du café, les deux adolescentes prenaient leur repas en silence. C'était à peine si Snow osait regarder Red. Elle sentait le regard de cette dernière se poser sur elle. Il ne semblait pas vouloir s'en décrocher. Même si elle la savait bienveillante à son égard, Snow ne pouvait pas s'empêcher d'être mal à l'aise avec Red. Il y avait tellement de choses qu'elle ignorait à son propos, tellement de questions sans réponses, de secrets trop bien enfouis.
En espérant se délivrer du poids de ses questions, Snow trouva finalement le courage de demander :
- Qu'est-ce qu'Alice t'a raconté, au juste ? En quoi penses-tu que ses rêves ont pu t'influencer ?
Le visage de Red s'assombrit. Son expression devint grave.
- En quoi ça te concerne ? rétorqua-t-elle.
- Je suis supposée te faire confiance, expliqua Snow, et j'aimerais vraiment que ça soit le cas. Seulement, je ne sais rien de toi, mis à part que tu as un tas de choses à me cacher. Comment veux-tu que ça puisse fonctionner ?
Red se déchargea d'un peu de sa raideur dans un soupir. Elle se radoucit :
- Byron et moi n'étions pas en très bons termes. J'ignore comment Alice a été mise au courant. C'était quelque chose de personnel. Alice savait plus de choses qu'elle n'aurait dû. Elle prétendait que ses rêves les lui avaient révélées. Je n'ai pas été en mesure de trouver une explication plus rationnelle. Alors, quand elle m'a avertie que Byron allait me détruire si je n'agissais pas, ça m'a confortée dans l'idée qu'il fallait que je l'arrête.
- Et le tuer était bien entendu la meilleure des solutions, pour régler vos différents !
- Ne prends pas ce ton sarcastique, Snow. Tu ne sais pas de quoi Byron était capable. Les gens s'imaginent tous qu'être la meurtrière fait de moi le monstre, dans l'histoire. Mais je ne regrette pas mes actes. J'ai débarrassé cette ville d'une ordure. Je n'aurais jamais fini d'en payer le prix, mais j'ai fait ce que j'estimais juste.
Snow fut abasourdie par un tel discours. Alice disait donc bien vrai en prétendant que Red tirait du mérite de son crime. Mais l'adolescente refusait de croire que celle qu'elle commençait à admirer pût nourrir une fierté aussi malsaine. Pour s'en assurer, elle la questionna encore :
- C'est pour ça que tu t'es rendue ?
- Je vois que tu es bien renseignée ! railla Red. Oui, je me suis rendue. Qu'est-ce que je pouvais faire d'autre ? J'aurais pu faire comme tout le monde : prétendre, dissimuler, mentir. Mais à quoi ça m'aurait amenée ? Crois-tu que j'aurais pu en tirer une quelconque fierté ? Parce que oui, je suis fière d'avoir mis à mort ce salaud.
- Tu me fais peur, Red...
Son côté farouche reprit le dessus. L'adolescente sembla se refermer sur elle-même. Elle prit un ton plus calme pour tenter de rassurer Snow :
- C'est toi qui a voulu savoir. Je n'ai pas l'intention de te faire du mal, tu sais. Tu n'as pas à avoir peur.
Snow hocha la tête. Ce n'était pas les paroles de Red qui avait effacé ses craintes. Une voix au fond d'elle-même s'était élevée et l'avait ramenée à la raison. Red avait assassiné un homme qu'elle semblait haïr du plus profond d'elle-même. Elle, elle avait abattue Queen, sans le moindre motif, alors qu'elle l'aimait. Forcée de se rendre à l'évidence, Snow admit qu'elle était la plus monstrueuse des deux et celle dont il fallait réellement avoir peur.
Une larme roula sur la joue de la jeune fille. Red s'empressa de l'éponger avec sa serviette de table encore propre. Snow lui adressa un sourire reconnaissant.
- J'ai confiance en toi, dans ce cas, déclara-t-elle.
Red lui rendit son sourire puis, constatant que leur assiettes étaient vides, elle interpella le gérant.
- Henry, tu peux apporter l'addition ?
À peine avait-elle prononcé sa phrase qu'elle croisa le regard de Snow. C'était peut-être la première fois qu'elles se regardaient dans les yeux. Il ne leur en fallu pas moins pour comprendre que le même éclair venait de déchirer leurs esprits.


Tenant encore leurs manteaux à bras, les deux jeunes filles se précipitèrent sur le trottoir de la rue principale, faiblement éclairée, dans le froid et l'ombre de cet hiver infernal.
- Henri ! lâchèrent-elle d'une même voix.
Elles prirent le temps de souffler et de se couvrir, avant de poursuivre leurs accusations.
- Hartland est une petite ville, affirma Red. Je doute qu'on y trouve beaucoup d'autres Henri.
Snow était septique.
- Selon toi, demanda-t-elle, pourquoi un type de son âge chercherait-il à draguer une ado ?
- Il n'y a pas à réfléchir trente ans pour avoir une idée ! Ça ne serait pas le premier pervers de son genre ! En plus, Henry peut s'avérer plutôt douteux, si on y regarde de près.
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- Je pense que personne ne sait quel âge il a exactement, ni combien de femmes il a eu. Pour ma part, j'ai connu cinq de ses épouses. Les cinq ont disparues.
- Il les a tuées ?
- Nul ne peut le dire. On n'a jamais retrouvé un seul de leurs cadavres. Quand les gens ont posé des questions à Henry, il n'a jamais été capable d'expliquer. Il a prétendu que chacune de ses femmes était partie, sans lui donner de raison.
L'estomac de Snow était noué. Elle attrapait mal au ventre. Elle ne laisserait pas cet homme faire de mal à Ashley. Elle ne permettrait pas que son amie disparût comme les cinq femmes de l'étrange propriétaire du café.


Cette nuit-là, Snow avait du mal à trouver le sommeil. Elle se retournait sur son matelas. Elle était prise de bouffées de chaleur, puis parcourue par de violents frissons. Les questions s'entrechoquaient dans sa tête. Mais, étrangement, à mesure que les minutes défilaient, ce n'était plus à propos d'Henry et de ces femmes mystérieusement disparues qu'elle s'interrogeait.
Snow se redressa brusquement dans son lit.
- Red, tu dors ?
L'adolescente remua sur le matelas, aux pieds du lits.
- Non, pourquoi ?
- Je voulais te demander, hésita Snow, pourquoi ? Pourquoi est-ce que tu as tué Byron ?
Red ne bougea plus. Aucun son ne sortit de sa bouche, si ce n'était sa respiration lente.
- Red ?
- Je dors.
Snow savait qu'elle venait de mettre le doigt sur le point faible de la jeune fille. C'était évident. Red ne semblait pas décider à lui avouer les raisons de son crime. Peu l'importait. Snow était convaincue que cet acte pouvait être expliqué. Elle avait de plus en plus de mal à croire que Red pouvait être aussi cruelle que les rumeurs le prétendaient. Pourtant, elle avait prémédité ce meurtre, ne le regrettait en aucun cas et était allée se dénoncer d'elle-même. Snow était déterminée à en découvrir le motif.


Le lendemain, Red, qui avait quitté l'appartement de bonne heure, avait laissé un mot sur son oreiller. Elle y informait Snow de son intention de suivre les faits et gestes d'Henry Proe jusqu'au soir et promettait de la tenir informée.
Snow avait l'habitude d'être seule, pour la Saint-Valentin. Habituellement, son père et Queen sortaient et lui laissaient l'appartement. Elle pouvait y inviter qui elle voulait. Néanmoins, depuis quelques années, tous ses amis de Williston étaient en couple. Tous consacraient cette journée à leur partenaire et personne ne venait jamais la sortir de sa solitude. Cependant, sans qu'elle pût se l'expliquer, elle était triste de savoir qu'elle ne verrait pas Red de la journée. Sans doute avait-elle espéré que, celle-ci n'ayant d'obligation auprès de personne, elle lui tiendrait compagnie. Faute de petit-ami, elle avait apparemment décidé de mener une traque contre un supposé pédophile.
Snow enfila ses vêtements en vitesse et descendit dans la boutique. Rosa s’affairait dans l'atelier. L'adolescente se faufila discrètement entre les tables sur lesquelles s'entassaient de larges tissus, soigneusement pliés. Elle pris place sur un tabouret bancal, à quelques pas de la vieille femme.
- Bonjour, Rosa.
Cette dernière tourna la tête en direction de la jeune fille et lui adressa un sourire chaleureux.
- Bonjour, Snow. Tu as bonne mine, aujourd'hui. Ça fait plaisir !
Snow lui rendit son sourire. Mais presque aussitôt les coins de ses lèvres s'affaissèrent dans un soupir chargé de lassitude.
- Quelque chose te préoccupe, devina Rosa. Je ne voudrais pas te tirer les vers du nez. Néanmoins, si tu ressens le besoin d'en parler...
- Cette ville regorge de personnages intrigants, l'interrompit Snow. Vous devez vivre là depuis longtemps, non ? Vous devriez être capable de répondre à beaucoup de mes questions. Cependant, j'ai le sentiment que ça vous gênerait.
Rosa, qui s'était de nouveau concentrée sur son ouvrage, immobilisa ses mains quelques instants. L'aiguille cognait le dé à coudre au bout de ses doigts tremblants.
- Pose toujours tes questions, lâcha-t-elle finalement, j'y répondrai peut-être.
Une étincelle malicieuse se mit à scintiller dans les yeux de l'adolescente. Elle avait espéré ce genre de réaction. Maintenant, il lui restait à décider de l'ordre dans lequel elle poserait ses questions, afin d'être certaine d'obtenir le plus de réponses possible. Parce que c'était certainement ce que Red aurait voulu, elle choisit de privilégier leur mission à ses intérêts personnels et commença par demander à Rosa si elle avait connu les femmes d'Henry Proe et si elle avait une idée d'où elles auraient pu se trouver à ce jour. Rosa se rappelait très bien des deux dernières en date : Irina Howard et Missy James. Selon Henry, toutes deux l'avaient quitté sans la moindre explication. Elles avaient déménagé en dehors d'Hartland et n'avaient plus donné de nouvelles à quiconque en ville depuis ce jour. Ces informations n'éclairèrent pas beaucoup l'adolescente. Elle avait l'impression qu'elle ne serait d'aucune aide à Red, dans cette affaire.
- Red... Pourquoi avez-vous toujours cru en son innocence, malgré ses aveux ?
Rosa laissa échapper un rire léger.
- Il est bon de toujours croire en ceux que l'on aime. Qu'en penses-tu, Snow ? Tu ne sembles pas la juger aussi durement que les autres, toi non plus. Pourquoi est-ce que tu fais abstraction de tout ce qui se dit à son sujet ?
- Moi, je la crois, si elle dit qu'elle est coupable. Qu'est-ce que ça change ? Tout le monde a droit à une seconde chance.
- Queen avait raison, à ton sujet. N'égare jamais ton cœur, Snow. Ceux qui en ont sont rares.
À l'évocation du nom de sa belle-mère, Snow blêmit. La neige, le reflet du soleil dans le métal froid, la détonation, puis le sang. Les mêmes images se mirent à tourner en boucle dans sa tête, jusqu'à pousser des flots amers en dehors de ses grands yeux. Elle ne laissa pas échapper un sanglot. Afin de se calmer, elle s'efforça de suivre les mouvements de l'aiguille que Rosa, dos à elle, piquait dans le tissus à mesure qu'elle cousait. Peu à peu, ses pleurs séchèrent sur sa peau et il n'y en eut bientôt plus aucune trace.


L'après-midi était déjà bien entamé. Snow avait mangé en compagnie de Rosa, dans un silence pesant. Puis la vielle femme avait regagné son atelier et Snow était restée seule dans l'appartement, à tourner en rond comme un fauve en cage. Elle avait l'impression étrange que Red lui manquait. C'était ridicule ! Elles n'étaient même pas véritablement amies ; tout juste liées par un intérêt commun. Pourtant, sa présence, aussi distante et froide qu'elle eût été, laissait derrière elle un vide considérable.
- Pourquoi faut-il que je me sente seule ? Alors que je voudrais n'avoir besoin de l'aide de personne. Pourquoi est-ce que tu me manques autant ? Ta compagnie n'est pourtant pas si agréable...
Snow soupira et se laissa tomber de tout son poids sur une assise du canapé. La pendule sonna trois heures. La jeune fille se leva d'un bond. Non ! Il était hors de question de rester là les bras croisés pendant que Red se démenait pour trouver des réponses !
L'adolescente se pinça le menton. Elle aurait fait une piètre enquêtrice. Elle ne parvenait à collecter aucune information et aucun détail n'éveillait jamais chez elle le moindre soupçon. Tout ce qu'elle avait pu apprendre de Rosa, c'était la raison peu crédible qu'Henry attribuait à la disparition de ses femmes et les noms de ces dernières.
- Missy James... Irina Howard...
Snow, bien décidée à s'attarder sur les seuls indices qu'elle possédait, se mit en quête d'un bottin. Elle finit par en dénicher un, datant de l'année précédente, dans le placard d'un vieux bahut. Elle en tourna les pages, une à une, en quête de l'un de ces deux noms. Au bout d'une heure passée à éplucher le bottin, elle finit par tomber sur le nom d'une Missy James qui résidait dans la banlieue de Fargo. Réjouie d'aboutir enfin à quelque chose, Snow se rua sur le téléphone et s'empressa de composer le numéro. Un grésillement se fit entendre à l'autre bout du fil. Une voix suave chantonna avec douceur :
- Allô ?
- Bonjour, entama Snow, je désirerais parler à Missy James.
- C'est moi. C'est à quel sujet ?
- Votre ex-mari, Henry Proe...
L'adolescente n'eut pas le temps d'achever sa phrase. Missy avait raccroché.
Snow soupira. Déjà, cette femme n'était pas morte. Elle tenta de rappeler le numéro, mais personne ne décrocha plus jamais. Résolue à ne pas en rester à ce premier échec, la jeune fille se replongea dans le bottin, à la recherche du nom d'Irina Howard. Elle en localisa d'abord une en Virginie. Son appel fut court. La femme déclara ne connaître aucun Henry, pas plus que la petite bourgade d'Hartland. Snow n'écartait pas la possibilité qu'il pût s'agir d'un mensonge. Mais elle poursuivit sa quête dans tous les numéros d'Amérique. Après quelques heures passées à parcourir les noms d'inconnus et deux autres appels peu fructueux vers le Nebraska et l'Ohio, elle découvrit le numéro d'une certaine Irina Howard, à Clearwater, en Floride. À bout de nerfs, Snow attrapa une nouvelle fois le combiné et, d'un doigt engourdi, fit tourner le cadrant téléphonique. La Floride, c'était l'autre bout du pays. En écoutant sonner le téléphone, elle s'apprêtait déjà à s'adresser à la mauvaise personne. Soudain, une voix pleine d'énergie résonna dans le combiné.
- Irina Howard à l'appareil ; que puis-je faire pour vous ?
Snow fut surprise par tant de dynamisme. Elle resta sans voix un moment avant de se ressaisir.
- Je m'appelle Snow. Je... J'ai emménagé il y a peu dans une petite ville, et je me pose beaucoup de questions...
- Je ne pense pas vous connaître, mademoiselle.
- En effet, mais vous pourriez peut-être m'éclairer. Vous, pourquoi vous êtes partie ?
Le silence se fit à l'autre bout de la ligne, mais Irina ne coupa pas court à leur conversation. Au bout de quelques instants, Snow entendit un petit rire.
- Vous êtes à Hartland, n'est-ce pas ? questionna Irina.
Snow approuva.
- Et vous voulez savoir pourquoi je suis partie ?
- Oui. Henry dit que vous êtes partie sans donner de raison...
- C'est la stricte vérité, affirma Irina. Je ne pouvais dire à personne que j'avais peur de mourir.
- Je ne suis pas sûre de comprendre.
- J'ai reçu une lettre, un jour, expliqua Irina. Un courrier anonyme, entièrement rédigé avec des coupures de presse. Il disait que toutes les femmes d'Henry avait disparues sans laisser de trace, et que je subirais le même sort si je ne partais pas. J'ai reçu plusieurs lettres. J'ai flippé. J'ai passé tout un hiver dans cette ville de malheur et j'ai commencé à prendre ça au sérieux. J'avais l'impression d'être devenue parano. Alors, j'ai déménagé.
- Non, vous avez disparue sans laisser de trace, rectifia Snow.
- Je suppose. J'ai flippé. Je ne regrette pas. Je vois plus clair, maintenant. Hartland, cette ville dévore les gens de l'intérieur. Elle les rend fous. Je les ai vus. Je n'y remettrai pas les pieds. Excusez-moi, mademoiselle. Il était demandé dans les lettres de ne pas en parler. J'en ai trop dit. Je vais devoir raccrocher.
L'adolescente n'insista pas. Irina pouvait bien décider de mettre une terme à cet entretien. Snow en savait suffisamment. Encore des lettres. Des menaces. Un amas d'indices qui faisaient d'Henry un suspect idéal. Trop idéal !
La jeune fille se leva d'un bond, enfila son manteau et dévala l'escalier jusque dans la boutique. De là, elle sortit dans la rue et prit la direction de l'avenue principale, d'un pas agité.


Snow entra en trombe dans le café. Toutes les tables étaient prises, la plupart par des couples venus partager une collation. Henry était accoudé sur le bar, en pleine discussion avec ceux qui semblaient être des habitués. Les hommes parlaient fort, s’esclaffaient de rire en chœur tout en vidant leurs chopes de bière. L'adolescente s'avança entre les tables, parcourant la salle du regard. Enfin, elle aperçut Red, installée au fond, dans un coin sombre. Elle feignait de lire un journal tout en sirotant un cappuccino. Snow prit place à sa table. Elle fut forcée de reconnaître le génie de la jeune fille au manteau rouge. D'ici, on avait une vue imprenable sur le bar et il était aisé de scruter Henry en toute discrétion.
Red releva la tête de son papier et haussa les sourcils.
- J'avais dit que je te tiendrais informée. Tu n'es pas censée être là.
Au lieu de répondre, Snow tira de sa poche une feuille froissée et deux crayons qu'elle lança sur la table.
- Jouons au morpion, dit-elle.
- Qu'est-ce qu'on met en jeu ? l'interrogea Red.
- Ta fierté. J'ai envie de gagner !
Un sourire malicieux se dessina sur les lèvres de Red. Elle accepta. S'en suivit une lutte acharnée. À nouveau, les croix de Snow tentèrent de parer les subtiles stratégies des cercles de Red. Ces derniers l'emportèrent finalement. À peine avait-elle perdue que Snow réclama une revanche. Red la lui accorda. Ainsi, les parties s'enchaînèrent, avec la même intensité. À mesure qu'elle jouait, Snow oubliait tout ce qu'elle était. Il n'y avait plus que cette grille tracée à main levée, devenue un véritable champs de bataille. Son but ultime était de trouver un moyen de remporter la partie. À chaque fois, cependant, ses positions se retrouvaient encerclées par celles de Red et il lui devenait impossible d'entreprendre quoi que ce fût.
Red semblait tendue. En même temps qu'elle jouait et redoublait d'efforts pour rendre la tâche le plus difficile possible à Snow, elle surveillait du coin de l’œil tous les déplacements du gérant du café. Lorsque ce dernier passa la porte de la réserve, Snow vit le visage de son adversaire se crisper. Elle profita de ce moment d'égarement pour placer une croix dans une case bien choisie. Red, trop occupée à espionner le suspect, n'y prêta pas attention et plaça le rond suivant sans même en tenir compte, offrant à Snow la victoire sur un plateau. Celle-ci compléta sa ligne d'un dernier symbole et la barra fièrement.
- Joli coup ! reconnut Red. Après plus d'une heure de jeu, c'est normal que tu finisses par l'emporter. C'était amusant.
Snow insista, avec une déception apparente :
- C'est tout ce que ça te fait ?
- Tu t'attendais à quoi ? Je n'ai pas de super-pouvoir, il faut bien que je perde un jour.
- Tu n'a pas remarqué, se désola Snow. Tu n'étais plus dedans. C'est pour ça que tu as perdu. C'est juste pour ça. Si tu n'avais pas tourné la tête sur Henry, tu m'aurais encore battue.
- Peut-être, et alors ? Tout le monde baisse sa garde, parfois.
- Tu ne comprends pas, Red. C'est exactement ce qui est en train de se passer avec nous. Nous et tous les autres habitants de cette ville, nous ne sommes que des pions sur un gigantesque échiquier.
- C'est ce qu'on appelle communément la vie, soupira Red.
- Henry est une fausse piste. Tout semble l'accuser, comme tout semblait accuser Queen. Mais les apparences sont trompeuses, surtout à Hartland.
Red posa ses coudes sur la table et appuya son visage sur ses mains, particulièrement attentive à ce que Snow racontait.
- Henry est une autre victime. Ces femmes disparues, n'importe qui pourrait penser qu'il leur a fait du mal. J'ai téléphoné à Missy James et Irina Howard. Elles sont en vie. Irina m'a parlé de lettres de menaces. Il y a un corbeau dans cette ville. C'est à cause de lui qu'elle est partie. Je suis sûre que la même chose s'est produite pour les autres, avant elle. Celui qui a envoyé ça voulait blesser Henry et souiller sa réputation, tu comprends ? Et nous, nous sommes bêtement tombées dans le panneau. On a regardé dans la mauvaise direction et on a suspecté la mauvaise personne.
Red hocha la tête avec gravité. Elle avait l'air d'accord.
- Si Henry n'est pas celui que nous cherchons, demanda-t-elle, alors qui est-ce ?
Snow essaya de se remémorer, aussi loin qu'elle le pouvait, ce qu'elle avait entendu à propos de l'âme sœur d'Ashley, depuis qu'elle était ici.
- Son prince... Celui qui l'arrachera à sa misérable existence. C'est ce qu'Alice a dit.
- Alors, il y a une chance pour qu'Ashley parte avec lui ?
- Il n'y a qu'une seule façon d'en avoir le cœur net !


Snow enfonça le bouton de la sonnette. Red se tenait à ses côtés sur le perron de la porte. Les bruits des pas qui dévalaient l'escalier retentirent dans l'entrée avant qu'Alice ne leur ouvrît.
- Snow ! s'exclama-t-elle. Tu as changé d'avis, pour le thé ? Et, je vois que tu n'es pas venue seule. Ça fait longtemps, Red ! Je ne sais pas si j'ai encore de la cannelle...
- Je ne suis pas venue ici pour prendre le thé, grogna la fille au manteau rouge.
Alice s'écarta pour les laisser pénétrer dans son logis. Une fois à l'intérieur, les visiteuses gravirent l'escalier et allèrent s'installer dans la chambre de leur hôte, autour de la table, entre les deux poupées de porcelaine.
La jeune fille aux allures de fillette les rejoignit quelques minutes plus tard, une grosse théière dans les mains.
- J'ai vérifié, Red, je n'ai vraiment plus de cannelle.
- Je m'en fiche pas mal d'avoir de la cannelle dans mon thé, rétorqua Red. Tout ce que j'attends de toi, c'est des réponses !
Alice versa le thé dans les trois tasses qui étaient disposées sur la table, avec un calme surprenant. Elle servit Snow en premier puis adressa un sourire à Red en lui tendant sa tasse.
- Que veux-tu savoir ? l'interrogea-t-elle.
- Henri, le prince d'Ashley, qui est-ce ?
Alice haussa les épaules.
- Qu'est-ce que j'en sais ?
- Tu sais toujours tout.
La petite approuva d'un hochement de tête. En se voyant rappeler son extraordinaire clairvoyance, elle paraissait acquérir un orgueil sans pareil. Elle prit place sur la chaise, à côté de l'ours en peluche, et commença à siroter son thé.
- Je ne sais que ce que les rêves me dévoilent, rectifia-t-elle.
- Alors que révèlent-ils sur le destin d'Ashley ?
Snow buvait son thé en silence. De plus en plus, elle se surprenait à ressentir du mépris pour Alice. Au fond, elle la tenait pour responsable de la mort de Queen. Sans ses fausses prémonitions, rien de tout cela ne serait jamais arrivé. Aussi, elle préférait laisser Red se charger de récolter les informations et écouter sans broncher. Si elle prenait part à la conversation, elle craignait de s'emporter comme la fois précédente.
Alice avala une autre gorgée avant de répondre :
- Tout le monde sait qu'Ashley est malheureuse comme les pierres. Henri va la délivrer de sa tante et de ses cousines. Il va lui montrer qu'elle compte, pour la toute première fois.
- Ça, je veux bien y croire. Mais à quel prix ?
- À quel prix ? répéta Alice sans comprendre.
- Tu le sais bien, toutes les choses que tu racontes, elles ne sont vraies que dans une certaine mesure. Tu en es consciente, Alice ?
La petite demeura incrédule. Évidemment, elle croyait dur comme fer en ce qu'elle racontait. Ses rêves étaient, à ses yeux, l'incontestable vérité. Elle avait un don, qui dépassait toute logique. Face à ce prodige, tout argument resterait à jamais impuissant à la convaincre. Red n'essaya pas de la raisonner davantage. Apparemment, elle n'oubliait pas l'objectif de leur visite.
- Alice, la questionna-t-elle, est-ce qu'Ashley compte fuir avec Henri ?
- Bien sûr. Sinon, comment veux-tu qu'elle soit libre ?
Snow posa sa tasse et se leva brusquement. Sous les regards incompréhensifs des deux autres, elle quitta la pièce. Après quoi, elle se dépêcha de sortir de la maison et traversa la rue. Elle sonna chez Ashley. La porte s'ouvrit sur Anna. La cousine d'Ashley considéra la jeune fille de bas en haut, avec un dédain apparent. Quand elle consentit enfin à la regarder en face, ce fut pour lui dévoiler des yeux débordant d'impatience. Anna mâchait un chewing-gum avec un rythme soutenu. Elle faisait claquer ses doigts contre le cadre de la porte. Elle n'était clairement pas réjouie de la voir débarquer.
- Je peux voir Ashley ? demanda Snow.
Anna fit un tour sur elle-même et colla son dos contre le mur afin de lui laisser la place pour rentrer.
- Deuxième étage, indiqua-t-elle tout en mastiquant.
Snow supposa que la tante d'Ashley s'était absentée. Elle gravit les escaliers jusqu'au premier étage. Un tapis à motifs floraux recouvrait les marches. La rampe boisée avait été si impeccablement lustrée qu'elle brillait, sous les rayons du soleil qui pénétraient par la lucarne. De nombreux cadres étaient suspendus au mur. Tous contenaient des photos de famille. Sans surprise, Snow constata qu'Ashley n'y figurait pas. Elle atteignit le pallier. Il donnait sur un petit couloir, lequel comportait quatre portes. Poussée par la curiosité, Snow s'avança. Le plus discrètement possible, elle entrouvrit la première porte sur sa droite. Elle ne fut pas étonnée de trouver derrière une chambre richement meublée. Un large lit à baldaquins trônait au centre de la pièce. Autour de lui, étaient disposés une coiffeuse couverte de divers cosmétiques, une garde-robe pleine à craquer et un bureau dont les poignées des tiroirs avaient été soigneusement travaillées.
Snow avait été élevée dans un foyer aisé. Il lui avait toujours suffit d'un claquement de doigt pour obtenir tout ce qu'elle désirait sur un plateau d'argent. Pourtant, après avoir vécu quelques semaines dans le modeste appartement de Rosa, elle trouvait au luxe une odeur étrange. Il l’écœurait soudainement. Plus que jamais, elle avait la certitude que les apparences étaient trompeuses : les dorures n'existaient que pour cacher les lambris moisis.
L'adolescente referma la porte de la chambre et quitta le couloir à reculons. Elle reprit son ascension dans les escaliers. Les marches qui conduisaient au deuxième étage grinçaient presque à chaque pas. Le tapis qui les couvrait était déchiré et gorgé de poussière au point qu'il en était devenu grisâtre. La rambarde mal fixée n'offrait plus un appui rassurant mais promettait à l'inverse une chute certaine. L'humidité rongeait les murs. La tapisserie se décollait. Les toiles d'araignée pendaient dans les angles du plafond. Effrayée à l'idée que le bois pourri pût finir par céder sous son poids, Snow s'empressa de gagner l'étage supérieur. Arrivée sur le pallier, elle se trouva face à la seule porte du grenier. Elle frappa doucement puis, n'entendant aucune réponse, abaissa la poignée.
Le grenier était une vaste pièce, plongée dans la pénombre. Pour cause, il n'y avait nulle trace d'une installation électrique et l'unique source de lumière en était une petite fenêtre circulaire, située en hauteur. Ashley, accroupie sur un matelas à même le sol, leva la tête dans la direction de la porte.
- Je savais que c'était une visite spéciale, se réjouit-elle. Personne ne frappe jamais, ici.
Snow, quelque peu mal à l'aise, referma la porte derrière elle et s'avança dans la pièce. Elle avait la désagréable impression de s'introduire dans l'intimité de son amie sans y avoir été invitée. Elle voyait mal comment elle aurait pu davantage empiéter sur sa vie privée qu'en devenant le témoin privilégié de la misère dans laquelle Ashley baignait au quotidien.
La jeune fille s'approcha de son amie et se baissa à côté d'elle. Devant le matelas, sur le plancher, reposait une petite valise en cuir. Elle était ouverte et quelques effets personnels d'Ashley semblaient avoir été jetés en vrac à l'intérieur.
- Tu n'as pas pris de vêtements, remarqua Snow.
- Je m'apprêtais seulement à les embarquer.
Ashley semblait joyeuse. Alors, Alice ne mentait pas : elle préparait le grand départ.
- Il fait sombre, ici, ajouta Snow. Comment tu fais, quand il fait noir ?
- J'allume une bougie, expliqua Ashley.
- Parfois, le vent souffle et la bougie s’éteint. Tu avances dans le noir, Ashley. Tu te perds parmi les ombres.
- Quelques semaines d'enfermement et voilà que tu te mets à parler en métaphores !
- Pas d'enfermement : de deuil. Si tu veux croire en ce que dit Alice, il te faudra aussi croire que Queen est morte, en punition de ses crimes.
Ashley se redressa en fronçant les sourcils.
- Qu'est-ce que tu me chantes ?
- Je dis juste que c'est à toi de choisir d'y croire ou non. Mais si tu décides qu'Alice a raison en ce qui concerne ton prince, alors tu dois considérer le reste de ses propos comme vrais.
- On sait tous que ce que dit Alice contient une part d'invention, reconnut Ashley. Et alors, est-ce que je dois pour autant m'interdire de croire que quelqu'un puisse m'aimer ?
Ashley avait attrapé sa valise et se dirigeait vers la vieille commode qui contenait probablement ses habits.
- Tu ne peux pas partir avec ce type, Ashley ! s'écria Snow. Tu ne sais même pas qui il est !
En faisant mine d'ignorer ses propos, Ashley se mit en tête de fourrer quelques vêtements dans son bagage.
- Je sais que nous nous aimons, et ça me suffit. Je suis désolée que tu ne puisses pas comprendre, désolée que tu te sentes si seule, que tu sois envieuse au point de vouloir détruire mon bonheur. Mais j'ai pris ma décision, Snow. Si tu es une véritable amie, contente-toi d'être heureuse pour moi et laisse-moi rejoindre le bonheur qui m'appelle.
- Tu ne comprends pas...
La porte du grenier s'ouvrit brusquement. Ashley n'eut que le temps de dissimuler la valise dans son dos. Anna entra dans la pièce, l'air irrité. Elle rappela sur un ton particulièrement hautain :
- Tu sais que tu n'as pas le droit de recevoir du monde, Ash. Il y a d'autres de tes copines à la porte. Je leur ai dit de partir. Maman sera en colère, si elle apprend que j'ai laissé quelqu'un rentrer.
- Snow s'apprêtait à partir, affirma Ashley.
Puis, à l'attention de Snow :
- Pense bien à ce que je t'ai dit. Je crois que tu es mon amie. À toi d'accepter les choses telles qu'elles sont.
Snow, trop désemparée pour trouver la force de répondre, rejoignit Anna devant la porte. Elle se laissa raccompagner jusqu'au rez-de-chaussée, où elle se vit délicatement mettre à la porte. Red et Alice l'attendaient sur le perron.
- Qu'est-ce qui t'a pris de filer comme ça ? la gronda Red.
- Elle ne m'a pas écoutée, lâcha tristement Snow.
Son regard se perdait dans le vide. Elle avait une vague idée de l'opinion que Red devait avoir d'elle : elle agissait toujours dans la précipitation, sans réfléchir, et tout ce qu'elle entreprenait aboutissait à un gâchis.
- Bien sûr qu'elle ne t'a pas écoutée, soupira Red. Elle plane sur un nuage. Si tu essayes de la faire redescendre, elle s'imaginera forcément que tu es jalouse de son bonheur.
- C'est exactement ce qu'elle pense...
Snow sentit la main de Red s'abattre chaleureusement sur son épaule. Elle était dépitée à l'idée de lui être à ce point inutile. Elle n'avait même pas été capable de protéger celle qu'elle considérait jusqu'alors comme sa seule amie en ville.
- Vous n'y pouvez rien, claironna Alice en s'éloignant. Le destin est ce qu'il est. Il s'accomplira toujours s'il le doit.
Snow la regarda regagner sa maison en sautillant.
- Aller, viens, murmura Red. On rentre, nous aussi.


En rentrant à l’appartement, Snow avait livré a Red le récit de son entrevue avec Ashley. Loin de paraître lui en tenir rigueur, la jeune fille farouche s'était immédiatement mis en tête d’échafauder un plan. Ashley avait l'air obstinée, convint-elle. Tenter de la raisonner était voué à l'échec. Aussi Red suggéra-t-elle d'abandonner cette idée et de se concentrer sur le plus important : assurer la protection d'Ashley. Pour cela, cette dernière n'avait ni besoin d'être d'accord, ni besoin d'être au courant.
Red alla parler à Rosa pour lui exprimer un besoin que Snow ressentait d'aller passer la nuit dans la maison de Queen. Ça n'était pas évident de remonter la pente, soutint-elle, et ça lui ferait certainement le plus grand bien. Rosa approuva l'idée et les autorisa à se rendre à l'ancien domicile de Snow pour la nuit. Bien évidemment, le réel but de cette opération était de demeurer au plus près d'Ashley, afin de la surveiller.
Un peu avant la tombée de la nuit, les deux adolescentes gagnèrent donc la maison de Queen. Pour n'éveiller aucun soupçon, elle résolurent de ne pas allumer les lumières. Pour seul éclairage, elles allumèrent quelques bougies. Pendant que Snow, assise sur le plan de travail devant la fenêtre, scrutait la maison d'Ashley, Red entreprenait de préparer à manger avec des vivres qu'elle avait apportés dans un panier. Moins d'une heure plus tard, elles s'installaient à la table de la cuisine pour prendre leur repas, à la lueur d'un chandelier rouillé.
- C'est presque romantique, ironisa Snow
- Presque...
Elle n'avait jamais passé la Saint-Valentin avec personne avant. Même si ça n'avait rien d'un rencard, ça faisait quelque chose quand même ! Elle n'osait pas parler. Elle avait peur de dire quelque chose de stupide. Snow préférait profiter du plat trop cuit et de la compagnie silencieuse de Red.
- Je suis désolée, s'excusa soudainement celle-ci. J'ai raté ma recette.
- Ce n'est rien, essaya de la rassurer Snow.
- Je n'ai pas fait attention. Quand tu as mangé un an à la cantine de la prison, n'importe quoi semble meilleur. J'aurais dû m'appliquer un eu plus en sachant que je cuisinais pour quelqu'un d'autre.
- Ce n'est vraiment pas grave. Je t'apprendrai quelques trucs, si tu veux. J'avais l'habitude de cuisiner pour moi.
- Tu devais être plus seule que tu veux bien l'admettre.
- Toi aussi.
Le silence revint. Elles continuèrent de manger. Les seuls sons qui meublaient encore le repas étaient ceux des couverts qui s’entrechoquaient et du faible crépitement des flammes. Snow termina son assiette et reposa sa fourchette. Son regard se posa sur Red. Elle mastiquait lentement, comme si chaque bouchée avait été la première après un long jeûne. N'y tenant plus, Snow se risqua à demander :
- C'était comment, la prison ?
Red déglutit.
- Je n'ai pas trop envie de parler de ça.
Elle découpa un autre morceau de viande qu'elle fourra dans sa bouche. Elle mâcha avec application et avala après un long moment. Elle releva la tête et lâcha :
- Difficile. Ils ne sont pas trop durs, avec les jeunes. Tant qu'on est obéissant, tout va bien. Je n'adressais la parole à personne. Je faisais ce qu'on me demandait. J'attendais que le temps passe. C'est passé très lentement. Quand je suis sortie, j'avais juste l'impression de me réveiller du cauchemar le plus long et le plus pénible que j'avais jamais fait.
Snow l'écoutait avec attention. Elle regrettait que Red ne se livrât pas plus souvent. Elle avait une jolie façon de parler, et une voix captivante. Avant que Snow n'eût le temps de formuler une autre question, la fille farouche se leva et commença à débarrasser la table. Après quoi, elle gagnèrent l'ancienne chambre de Snow, qui offrait le meilleur point de vue sur la maison d'Ashley.
Une fois le canapé-lit déplié, les deux jeunes-filles s’installèrent dessus et attendirent, les yeux rivés sur la fenêtre. Les minutes, rythmées par les seuls échos de leurs respirations, se faisaient de plus en plus longues. Au bout d'une demi-heure, Snow se releva et se dirigea d'un pas las vers son bureau. Elle revint avec du papier et des crayons qu'elle déposa sur le lit.
- Partante pour une revanche ? lança-t-elle.
Red décrocha un sourire en guise d'approbation. Renforcée par l'expérience de sa précédente défaite, la jeune fille se montra particulièrement impitoyable et il fut impossible à Snow de trouver une faille dans sa stratégie. Du côté de la maison voisine, il n'y avait toujours aucun mouvement perceptible. Même préoccupées par la grille du morpion, les deux adolescentes n'oubliaient pas leur mission et restaient aux aguets.


Snow se laissa tomber sur l'oreiller dans un soupir. Elle devait en être à sa trentième défaite, et il n'y avait toujours aucun signe d'Ashley. Se pouvait-il qu'elle eût reconsidéré son choix ? Elle semblait si déterminée l'après-midi même que Snow avait du mal à envisager cette éventualité.
Elle fit tourner son crayon entre son index et son majeur, les yeux rivés sur le plafond. Red s'allongea à côté d'elle.
- À quoi tu penses ? demanda la jeune fille.
Cette question fut une surprise pour Snow. Elle n'avait pas l'habitude que Red engageât la conversation de la sorte. Le sang de Snow ne fit qu'un tour dans ses veines : c'était l'occasion où jamais de tenter de trouver la faille dans sa carapace.
- Je me demande qui tu es, Red. Et la seule certitude que j'ai, c'est que tu es quelqu'un de bien. Alors je me demande quelle bonne raison a pu te pousser à commettre l'horrible chose que tu as faite. Et je suis convaincue qu'il y a une bonne raison. Je veux la connaître.
- Et si je me tais ?
- Je ne t'en voudrai pas. Je préférerais juste que tu me fasses confiance.
Red ferma les yeux et rabattit ses jambes contre sa poitrine, en position fœtale. Snow supposa que cela traduisait son refus de se confier. Elle était sur le point de se lever pour reprendre la surveillance de la maison voisine lorsque Red agrippa son poignet et l'attira vers le matelas. Avec lenteur et émotion, elle entama un récit difficile. Ses mots, posés laissaient transparaître une volonté de le rendre le moins confus possible, et pourtant chaque syllabe semblait plus douloureuse à prononcer.
Elle était née d'une erreur de jeunesse, raconta Red, et sa mère n'avait jamais manqué une occasion de le lui rappeler. Personne n'avait jamais su qui était son père. La fille de Rosa avait elle aussi un fâcheux penchant pour la boisson. Red avait vécu avec elle à Minot pendant près de dix ans. Et puis, un beau jour, les services sociaux avaient été alertés par son institutrice, soucieuse des nombreux hématomes de la fillette. Elle ne s'était jamais vraiment considérée comme une enfant battue. Elle ne savait pas si elle en avait souffert, elle n'était même pas sûre d'en avoir eu conscience. Pour elle, ça avait toujours été de simples punitions. Elle n'avait pas eu de point de comparaison qui lui aurait permis de les juger abusives. Sa mère ayant été déclarée inapte à l'élever, Red avait été confiée à sa grand-mère, qu'elle n'avait jusqu'alors encore jamais rencontrée. Sa mère n'avait jamais cherché à la revoir depuis. C'était sans doute mieux ainsi. Red avait apprécié Rosa à la seconde où elle avait croisé son regard. Pour la toute première fois, le mot famille avait trouvé un véritable sens dans son esprit. C'était Rosa qui lui avait confectionné son manteau, pièce favorite de toute sa garde-robe. Et, dans les plis du tissus rougeoyant où beaucoup voyaient la marque de son crime, Red ne percevait que toute la chaleur que la vieille dame avait essayé de lui transmettre, malgré son tempérament dur. La fillette s'était vite adaptée à sa nouvelle vie. Cependant, un individu à Hartland la terrorisait : Byron Wolf. La carrière de ce dernier avait décollé dans le monde de la finance, quelques années auparavant, et il était devenu propriétaire d'une bonne partie de la ville. Il avait quitté Hartland pour Bismarck, où il avait mené une vie de débauche à écumer les bars, parier son argent au jeu et acheter les faveurs de femmes aux mœurs légères. La ruine l'avait ramené jusqu'à sa ville natale, où il avait cédé la plupart de ses biens, ne conservant ses droits de propriété que sur sa propre maison et une poignée de commerces, dont le magasin de Rosa. Byron était avare. Les affaires à la boutique n'allaient pas si bien. Rosa s'était rapidement endettée et, régulièrement, son voisin débarquait à l'improviste dans son établissement pour faire un scandale et proliférer une multitudes de menaces plus virulentes les unes que les autres. Red n'avait jamais cessé de le craindre.
Red eut un instant d'hésitation. Snow était pendue à ses lèvres, à essayer de faire le lien entre tous les éléments du récit. Son poignet toujours retenu entre les doigts de sa camarade, elle le remua légèrement pour pouvoir saisir à son tour l'avant-bras de cette dernière. Red poussa un soupir chargé d'émotion et poursuivit, tandis qu'un climat tendu s'installait dans la chambre.
Lorsqu'elle avait grandi, Rosa lui avait laissé davantage d'autonomie. Il était arrivé à Red de se retrouver seule dans la boutique, à subir les menaces de Byron. Celles-ci étaient devenues de plus en plus pressantes. L'adolescente avait craint une expulsion imminente. Un jour, alors que Rosa était au café, Byron avait fait irruption dans le magasin. Il n'y avait aucun client. Sa grand-mère allait avoir de sérieux ennuis, si elle ne payait pas, avait prévenu Byron. Elle avait intérêt à rembourser ses dettes, et vite ! Elle n'avait pas les moyens, l'avait défendue Red. Alors, avait déclaré Byron, quelqu'un devrait payer pour elle. Red n'avait pas compris. L'homme aurait dû savoir qu'une enfant ne disposait pour fortune que d'une poignée de pièces dans sa tirelire. Il le savait. Ce n'était pas de l'argent qu'il voulait. Il avait forcé Red à avancer contre le mur, dos à lui. Ses tentatives de se débattre avaient été vaines. Il l'aurait brisée en deux si elle avait persisté à vouloir lui échapper. Elle avait entendu Byron défaire sa ceinture, puis son souffle bestial s'était propagé dans sa nuque. Elle n'avait pu que fermer les yeux et serrer les dents. Elle n'avait pu que retenir ses cris et ses pleurs pendant que ce porc dérobait ce qui lui restait de l'innocence et de la pureté d'une enfant.
Une larme roula sur la joue de Red. Le barrage qu'elle avait forgé des années durant venait de céder et une vague amère s'abattit sur son visage à l'allure d'une marée de tempête. Snow était sur le point de la réconforter lorsque Red se redressa brutalement et ouvrit grand ses yeux, noyés par les pleurs. Sans laisser le temps à Snow de prononcer le moindre mot, elle ajouta :
- Juste après, Alice m'a parlé du loup que je devais abattre. Et je n'ai plus eu de doute : ce salaud devait payer ! Il devait payer pour ce qu'il m'avait fait endurer ! Je devais le mettre hors d'état de nuire !
Un puissant sanglot l'interrompit. Elle reprit, comme une furie :
- Alors, quand j'ai été seule à la boutique, je l'ai attendu de pied ferme, avec un couteau de cuisine, et j'ai fait en sorte de lui rendre les souffrances qu'il m'avait infligées. Je m'en fous si j'ai les mains sales ! Je m'en fous si son sang ne s'efface jamais ! J'ai su que son emprunte ne partirait jamais le jour où il m'a abusée...
Interrompant son discours, Snow jeta ses bras autour des épaules de Red et l'étreignit aussi fort qu'elle en était capable. Sans pouvoir se contenir, elle se mit à pleurer, elle aussi. Elle ne savait pas si c'était cette histoire qui l'avait tant affectée, le fait de se sentir si fragile face à la force dont faisait preuve Red dans son interminable tempête, ou encore de savoir que nul n'avait jamais daigné voir en elle autre chose que le monstre sanguinaire. Snow en était certaine ; le coup fatal que Red avait porté à Byron avait été moins douloureux que le traitement humiliant qu'il lui avait fait subir. Il le serait toujours moins que le prix qu'elle en payait à présent : condamnée à jamais à être jugée par le regard aveugle que portait sur elle la ville toute entière.
Elles demeurèrent dans cette positions plusieurs minutes, le temps que chacune évacuât les restes de ces aveux éprouvants. Quand les larmes eurent séché sur ses joues, Red repoussa doucement Snow et eut pour elle un regard plein de gratitude.
- Je n'avais jamais parlé de ça à personne, avoua-t-elle. J'avais trop honte. Et finalement, je réalise que j'étais dans l'erreur, en pensant aller de l'avant, parce que j'ai toujours été bloquée sur ce même moment de ma vie, ce traumatisme qui me hantait. C'est seulement maintenant que je comprends à quel point en parler me libère. C'est dur, mais ça m'a fait du bien. Et puis, j'ai confiance en toi.
Un aboiement retentit dans l'impasse. Les deux jeunes filles tendirent le cou vers la fenêtre.
- Ça a bougé ? s'enquit Snow.
- Je ne vois rien...
La ruelle était déserte. Un vent violent y propageait sa plainte aiguë, faisant valser dans de larges tourbillons de légers flocons, prémices d'une nouvelle tempête.
- Moi non plus.
Elles restèrent immobiles, à admirer la neige qui s'accumulait progressivement sur les toits des maisons voisines. Une fois de plus, l'hiver se refermait sur Hartland. Les flocons s'écrasaient sur la ville avec tant de douceur que personne n'aurait remarqué leur invasion, songea Snow. C'était exactement la même chose avec cette malédiction. Elle s'insinuait lentement dans les esprits et les rongeait, petit à petit, jusqu'à en avoir le contrôle.
- Snow...
La jeune fille tourna la tête. Red s'était assise en tailleur sur le matelas, le regard fixé sur ses mains jointes.
- Quelque chose ne va pas ? s'inquiéta Snow en approchant son visage.
Tout en la posant, elle avait conscience du ridicule de sa question. Bien sûr que Red était dévastée ! Elle avait beau prétendre que se confesser l'avait libérée d'un poids, ce genre d'aveu pouvait se révéler lourd de conséquences. Elle ne pouvait pas se sentir bien après cela.
Red envoya sa tête en arrière, inspira une grande bouffée d'air et expira presque aussitôt. Elle déclara, dans un murmure à peine audible :
- Il faut que je te dise...
Elle s'interrompit et vint plonger ses yeux dans ceux de Snow. Les mots semblaient se bousculer aux bornes de sa bouche, sans qu'aucun ne parvînt à s'en échapper. Elle considérait Snow d'une manière singulière. Son regard, franc et intense, semblait voir à travers elle comme dans une flaque d'eau claire. Snow s'était déjà sentie transpercée par le regard de la farouche adolescente. À ce moment, cependant, elle n'y trouvait plus rien de dérangeant.
Red lâcha avec confusion :
- Faisons une autre partie.
Snow savait qu'elle perdrait encore. Mais, suite à ses confidences éprouvantes, elle ne voulait pas prendre le risque de contrarier Red. Aussi accepta-t-elle sans rechigner. Elle n'essaya même pas de déjouer la stratégie de son adversaire. Red ne semblait plus au meilleur de sa forme. Lorsque son crayon s'approchait du papier, sa main se mettait à trembler. Elle prenait beaucoup plus de temps à choisir ses placements que lors de leurs précédentes parties. Snow en vint à ne même plus faire attention au jeu. Elle inscrivait ses croix au hasard, sans même plus regarder la grille. C'était à peine si elle baissait les yeux pour en discerner les contours. Elle prêtait davantage attention à la maison d'Ashley et, des symboles tracés par Red, elle ne percevait que des traces floues.
Maintenant qu'elle savait ce qui avait poussé Red à s'en prendre à Byron, Snow comprenait mieux son emportement à l'épicerie, ainsi que ses craintes quant à l'inconnu dont Ashley était tombée éperdument amoureuse. Ça devait être compliqué d'accorder sa confiance, après ce genre de traumatisme, songea Snow. Qu'en était-il de parvenir à aimer quelqu'un ? L'emprunte de cet homme de partirait jamais, avait-elle dit. Alors, jamais elle ne trouverait la paix ; jamais elle ne pourrait être bien dans sa peau...
- J'ai gagné !
La jeune fille émergea de ses pensées. Elle avait complètement perdu le fil du jeu. Red souriait fièrement. Immédiatement, Snow regretta de l'avoir laissée gagner. Elle l'avait probablement fait par pitié. En croyant bien faire, elle avait la soudaine impression de lui avoir manqué de respect.
Elle s'apprêtait à présenter des excuses lorsque son regard croisa la grille du morpion. Red y avait réalisé une ligne transversale, qu'elle avait soigneusement barrée. Mais, ce que Snow n'avait pas remarqué durant la partie, c'était que les symboles avaient été modifiés. Si Red avait choisi les cercles au départ, la ligne gagnante, elle, se composait de quatre cœurs. Snow fronça les sourcils, intriguée. Ça devait être un message ; ça ne pouvait pas être autre chose. Néanmoins, ça n'avait pas de sens.
Alors qu'elle relevait les yeux sur Red pour l'interroger, elle constata que la jeune fille avait tourné légèrement la tête, comme si elle essayait de fuir son regard.
- Red ?
L'adolescente ne répondit pas. Elle paraissait crispée. Assise au bord du canapé déplié, elle serrait les jambes tandis que ses doigts tremblants cherchaient désespérément à s'agripper au matelas. Elle restait tête baissée, ses crolles rougeoyantes lui tombant devant les yeux, à se mordre la lèvre inférieure. Snow se glissa timidement à côté d'elle et souleva délicatement les mèches qui lui cachaient le visage.
- Est-ce que ça m'est adressé ? insista-t-elle doucement.
Visiblement incapable de desserrer les dents, Red acquiesça d'un faible hochement de tête. Sans bien savoir elle-même ce qu'elle faisait, Snow vint se coller contre elle et laissa tomber sa tête sur son épaule. Red ne bougeait pas. C'était à peine si on percevait sa respiration. Jamais Snow n'avait croisé tant de raideur accumulée en une seule personne ! Étrangement, la gêne extrême de Red lui apparaissait adorable.
Non sans appréhensions, Snow avança sa main le long de la cuisse de la jeune fille, jusqu'à atteindre son avant bras, lequel cognait son genoux dans ses secousses. En faisant de son mieux pour ne pas la brusquer, Snow inséra ses doigts entre les siens et pressa chaleureusement sa main.
L’érubescence avait gagné les joues de la jeune fille farouche.
- Qu'est-ce qui t'effraie ? demanda Snow à voix basse.
Red déglutit bruyamment.
- Tu n'as pas répondu, quand je t'ai demandé si tu me détestais.
Snow ne put réprimer un rire. Elle avait complètement oublié cet épisode ! Pourtant, Red semblait avoir été profondément affectée par son silence. Soudainement honteuse, Snow resserra ses doigts autour de la main frémissante de l'adolescente. Elle se décolla de son épaule pour répondre.
- Comment j'aurais pu savoir si je t'aimais ? Je ne savais presque rien de toi. C'est difficile de reconnaître qu'une personne nous plaît, quand elle est aussi renfermée que toi ! Je suppose que j'ai juste eu peur.
Red parut se décrisper un peu. Pas suffisamment, néanmoins, pour oser relever la tête. Elle préféra s'assurer :
- Alors, maintenant, tu m'aimes ?
Snow eut un sourire amusé. Elle tendit le cou pour embrasser précipitamment la joue de Red.
- Je t'aimais déjà avant.
Subitement, comme investie d'une énergie divine, Red se redressa dans un mouvement quasi sensuel. Elle arborait un beau sourire, expression que Snow ne se souvenait pas avoir déjà rencontrée sur son visage. Sans qu'elle s'y fût préparée, les yeux de Red fondirent sur elle, tant et si bien que leurs visages vinrent se coller l'un à l'autre. Leurs nez se frôlèrent. Puis, naturellement, leurs bouches furent attirées l'une à l'autre. Leurs lèvres s'entrechoquèrent avec pudeur avant d'échanger un baiser maladroit. Alors, tel était le goût de l'amour ? Malgré leur inexpérience, Snow désirait s'en imprégner. Elle s'allongea progressivement sur le matelas, entraînant Red avec elle, et parcourut d'une caresse les hanches de cette dernière. Désormais libérée de tout rigidité, Red passa une main dans la nuque de la jeune fille et étreignit de l'autre sa taille. Alors, dans un élan fougueux, elle l'embrassa langoureusement.


Snow sentait ses paupières s'alourdir. Blottie contre Red, elle luttait pour les garder ouvertes et ne pas perdre de vue la maison voisine.
- Peut-être qu'Ashley a finalement renoncé, soupira-t-elle.
- N'espère pas trop.
Red avait raison. L'espoir était vain pour la population d'Hartland, que la malédiction condamnait à de perpétuelles désillusions. Le sort lui-même ne tarda pas à en apporter la preuve. À peine la jeune fille avait-elle prononcé ces mots qu'une ombre surgit de derrière la maison voisine. Elle la contournait en en rasant les murs.
- C'est elle ! s'exclama Red en bondissant sur ses pieds.
Snow vint coller son nez contre le carreau de la fenêtre. Elle avait vu juste : Ashley, enveloppée dans son manteau rapiécé, s'élançait dans la ruelle enneigée. Sans plus attendre, les deux adolescentes se précipitèrent au rez-de-chaussée et sortirent de la maison sans même prendre le temps de se couvrir. Déjà, la silhouette d'Ashley disparaissait au bout de l'impasse, engloutie dans la nuit. Le ciel était complètement noir. Pas un seul astre n'avait pointé le bout de son nez pour l'éclairer. Ainsi, la seule lumière dans les rues d'Hartland était celle des lampadaires : une lueur jaunâtre qui contribuait davantage à créer un clair-obscur inquiétant qu'à illuminer la route des rares passants.
- Elle est allée vers l'avenue principale ! indiqua Red.
Elles pressèrent le pas, faisant de grandes enjambées dans la neiges qui avait rendu les routes impraticables. Snow avait l'impression permanente de glisser, de s'enfoncer dans le sol pâteux. Par moment, elle avait la sensation qu'il l'aspirait. Chaque pas n'était plus qu'une avancée vers une chute certaine. La jeune fille tentait de fixer un point lointain et d'aller de l'avant, malgré tout. Elle avait cependant peur de rencontrer une plaque de verglas. En se frayant un chemin dans cette étendue blanche, elle ne pouvait s'empêcher de se remémorer le jour où elle avait pris la fuite dans les bois, face à Queen. Les battements de son cœur s'accéléraient. Leur son devenait sourd, insistant et lui montait à la tête. Il n'y eut bientôt plus que l'écho du coup de feu, résonnant dans ses tympans. Des larmes bouillantes jaillirent de ses yeux et ruisselèrent sur sa peau, cristallisée par le froid. Elle chancela et tomba, accroupie dans la neige. Ses mains nues s'enlisèrent dans les flocons et furent tout aussi vite gagnées par la torpeur. Lorsqu'elle releva la tête, elle vit les filets de sang imbiber le sol et éclata en sanglots, étouffant un gémissement désespéré.
- Snow ?
On lui agrippa le bras et on la tira vers le haut. La jeune fille se laissa faire sans broncher.
-  Snow, qu'est-ce qui se passe ?
La voix de Red lui paraissait si lointaine. Elle était de nouveau debout, mais c'était à peine si elle sentait encore ses membres. Le visage de Red apparut bientôt devant ses yeux et, délicatement, les pouces de cette dernière vinrent essuyer ses larmes. Snow cligna des paupières. Elle était trempée. Elles étaient seules au beau milieu d'un carrefour et l'épais tapis qui recouvrait la ville était toujours d'un blanc immaculé.
- Je crois que je deviens folle, chuchota-t-elle.
Red la prit par le bras et glissa ses doigts entre les siens. Elle insista avec douceur :
- Aller, on doit rattraper Ashley. Je ne te lâche pas, compris ?
Snow hocha faiblement la tête et lui emboîta le pas, s'agrippant à sa main autant que possible.


La rue principale était déserte. On pouvait néanmoins entendre depuis le bar la fête battre son plein.
- Elle n'a pas pu partir par-là, affirma Red. Quelqu'un l'aurait repérée.
Alors qu'elles se dirigeaient de l'autre côté de la route, l'adolescente pointa du doigt des empruntes dans la neige.
- Elles sont encore fraîches, déclara-t-elle. Je mettrais ma main à couper qu'il s'agit d'Ashley !
Elle était à nouveau si sûre d'elle. Snow ne pouvait s'empêcher d'être admirative. Fraîches ou pas, l'idée de suivre des traces de pas ne lui aurait jamais effleuré l'esprit. Lorsque Red le suggérait avec autant de naturel qu'une experte en traque, cela semblait si évident qu'on ne pouvait que se trouver ridicule de ne pas y avoir penser.
Bras dessus, bras dessous, les deux jeunes filles traînèrent péniblement leurs pieds le long des trottoirs, suivant cette nouvelle piste. Les empruntes, de plus en plus distinctes et rapprochées, conduisaient tout droit au lycée d'Hartland. Cela faisait bien longtemps que Snow ne s'y était plus rendue. Aucun réverbère ne se trouvait à proximité du bâtiment qui, dans la pénombre, avait pris des allures fantomatiques. Sa façade en bois clair renvoyait des reflets fluorescent tandis que sa tourelle, impassible, se dressait avec rigueur pour fendre l'obscurité intense des cieux. L'horloge, dessus, indiquait presque minuit.
Les empruntes se poursuivaient dans la cour, par-delà la haute grille. Cependant, celle-ci était fermée et un imposant cadenas en étreignait les barreaux. Snow leva de grands yeux sur les lettres en fer forgé qui surplombaient le portail.
- Tu ne crois quand même pas qu'Ashley a escaladé ça ? s'intrigua-t-elle.
- Ça m'étonnerait. D'un autre côté, je ne vois pas non plu comment elle aurait eu la clé. Une chose est sûre : elle est passée par-là. Alors nous n'avons pas le choix.
Dans un élan de détermination, Red lâcha le bras de Snow et s'élança à l'assaut de la grille.
- C'est de la folie ! s'exclama Snow.
Pour seule réponse, Red, qui avait déjà gravi la moitié du portail, lui tendit la main pour la hisser jusqu'à elle. Ne voyant pas d'autre alternative, Snow se laissa convaincre. Tant bien que mal et en s'apportant un soutien mutuel, elles passèrent la grille et se laissèrent tomber de l'autre côté. Plusieurs mètres de neige amortirent leur chute.
Une fois remises de leur périlleuse intrusion, les deux adolescentes se remirent en quête des empruntes d'Ashley. Celles-ci s'arrêtaient devant la porte du bâtiment. À tout hasard, Red tenta d'en abaisser la poignée. Le battant s'ouvrit.
- Il y a quelqu'un ? hasarda Snow.
Red lui plaqua aussitôt sa main sur la bouche.
- Tais-toi, chuchota-t-elle. Si Henri est ici, tu penses bien qu'il ne va pas nous répondre !
En effet, si le supposé prince charmant s'avérait être un vieux pervers, il y avait assez peu de chances pour qu'il risquât de se faire repérer. Snow était confuse de ne pas avoir réfléchi avant d'ouvrir la bouche.
Les deux jeunes filles s'engouffrèrent dans le corridor sombre. Le silence était roi en ces lieux. Le seul bruit qui osait venir perturber son règne était le son creux des flocons qui venaient s'écraser avec lourdeur sur les vitres givrées. La chaudière devait être éteinte. Il faisait froid. Chaque souffle expiré projetait au-devant d'elles une nuée blanchâtre.
- Drôle d'endroit pour un rendez-vous galant, remarqua Red.
Snow acquiesça d'un simple hochement de tête. Elle avait déjà laissé échapper trop de paroles maladroites. Elle ne voulait pas risquer de faire échouer leur entreprise. Sans plus dire mot, elles poursuivirent leur chemin, au hasard, longeant les couloirs déserts.
Elles avaient atteint le premier étage lorsqu'un grincement se fit entendre. Snow tourna la tête. Son regard entrevit une silhouette, au fond du couloir, qui s'élançait précipitamment dans l'escalier de service. Elle tira sur le bras de Red et courut à son tour dans la direction prise par Ashley. Elle était certaine de l'avoir reconnue.
L'horloge se mit à sonner avec lenteur. Un coup. Deux coups. Trois coups. Il s'agissait de celle qui se trouvait sur la tourelle du bâtiment. Son grondement rauque faisait trembler le plancher. Sept coups. Huit coups. Les deux adolescentes pressèrent le pas. Les escaliers de service étaient d'ordinaire réservés au personnel d'entretien. Les marches étroites disposées en colimaçon les rendaient difficile d'accès. Onze coups. Douze coups. Elles n'eurent pas le temps d'atteindre le bas des marches. L'horloge sonna une treizième fois. Un cri strident déchira le silence.


Affolée, Snow se laissa quasiment tomber dans l'escalier pour en gagner le bout au plus vite. Elle se jeta de tout son poids sur la porte qui se trouvait en bas et déboula à l'extérieur, dans une petite cour où s'entassaient les poubelles du lycée.
Une chaussure au talon fendu gisait sur le sol. À quelques mètres, une ombre aux allures d'homme franchissait le petit portail qui cloisonnait l'arrière-cour. L'individu, long et mince, se tenait aussi droit qu'un piquet. Quoi que visiblement peu musclé, il semblait avoir des épaules carrées. Cela dit, il était assez difficile de s'en assurer, puisqu'une longue cape les enveloppait et que, sur l'une d'entre elles, il soutenait ce qui semblait être un corps. Les bras fins de la victime pendaient, inanimés, dans le dos de l'inconnu, secoués au rythme de ses grandes enjambées. Son visage, collé contre la nuque de l'homme, était dissimulé sous une épaisse tignasse, dont les cheveux glissaient le long des omoplates du suspect. Ce dernier s'enfuyait dans la nuit en tenant fermement Ashley par les jambes, au niveau de son torse. Derrière le grillage, sagement garée, une fourgonnette blanche paraissait les attendre pour mettre les voiles.
Le sang de Snow ne fit qu'un tour dans ses veines. Elle lâcha le bras de Red et s'élança à la poursuite de l'inconnu. La neige étouffait le bruit de ses pas. Elle avait l'impression de flotter au-dessus du sol. Elle filait si vite que ses pieds n'avaient plus le temps de s'enfoncer dans la poudre blanche. Le cœur battant, le corps léger, elle défiait les lois de la gravité. Dans un ultime bond, elle se jeta sur l'inconnu. Il bascula, avec la raideur d'un arbre que l'on abat. Soucieuse avant tout du sort de son amie, Snow saisit entre ses bras le corps inerte d'Ashley et le serra contre elle. Elle se pencha au-dessus du visage de l'adolescente. Elle respirait. Elle était inconsciente, mais saine et sauve. Snow passa doucement une main derrière son crâne pour le maintenir. Elle devina du bout des doigts la forme d'une grosse bosse.
Avant que Red ne pût parvenir à leur hauteur, l'inconnu s'était relevé. Incapable de se lancer à sa poursuite, Snow ne put que tendre un bras pour agripper sa cape. L'homme, sentant qu'il était retenu, tourna le visage dans sa direction. Stupeur. Ce ne fût pas ne figure humaine que découvrit la jeune fille, mais la face singulière d'un félin. Sa tête était couverte de poils, ses joues pourvues de longues moustaches. Deux yeux ronds et luisants surplombaient son museau écrasé, tandis que deux oreilles pointues se dressaient sur son crâne. Néanmoins, le détail le plus singulier – et sans doute le plus effrayant – résidait dans son sourire. Le chat souriait largement, découvrant une infinité de dents aiguisées. C'était un sourire moqueur, un sourire narquois, le sourire le plus diabolique que Snow avait jamais croisé.
Profitant de l'effarement de la jeune fille, le félin défit sa cape. Avant que celle-ci n'eût le temps de gagner le sol dans une chute voluptueuse, il s'était volatilisé. Un moteur vrombit. La fourgonnette démarra et disparut totalement de son champs de vision.
Red arriva, à bout de souffle, et posa sa main sur l'épaule de Snow. La neige liquéfiée ruisselait sur ses cheveux, dans ses vêtements. Apparemment, elle n'était pas parvenue à faire fi des lois de Newton, comme Snow quelques instants plus tôt.
- Il nous a échappé, lâcha tristement Snow.
Red s'accroupit à côté d'elle.
- Il n'a pas emmené Ashley, déclara-t-elle, c'est tout ce qui compte.
Snow baissa les yeux sur la jeune fille. C'était comme si elle avait été simplement endormie. Elle affichait une expression apaisée. Peut-être dans ses rêves avait-elle croisé le prince qui, un jour, viendrait la délivrer.


Portant Ashley sur leurs épaules, les deux adolescentes regagnèrent la maison de Queen. Elles installèrent la jeune fille inconsciente dans le lit de la défunte, jugé plus confortable que le canapé dépliant dont disposait Snow. Red et elle retournèrent s'y allonger. Red demanda à Snow ce qui s'était passé entre l'instant où elle avait lâché sa main et celui où elle l'avait rejointe. Elle le lui raconta en détail. Alors qu'elle s'efforçait de décrire le plus fidèlement possible le visage de l'homme-chat, Red fronça les sourcils. Snow pensa d'abord qu'elle la trouvait ridicule. Il aurait été normal qu'elle ne voulût pas avaler de telles inepties et qu'elle fût tenter de la tenir pour folle. Cependant, à la fin de ce récit, Red secoua la tête et déclara avec gravité :
- Quelque chose ne tourne vraiment pas rond, dans cette ville.
- Alors, tu me crois ? s'étonna Snow. Tu ne me prends pas pour une cinglée ?
Red lui sourit avec tendresse.
- Je te fais confiance, tu te souviens ?
Sans attendre de réponse, elle passa ses bras autour de la taille de Snow et l'enlaça. Exténuée, cette dernière ne tarda pas à sombrer dans un sommeil profond, lovée dans cette étreinte rassurante.


Lorsqu'elles se levèrent, le matin suivant, Ashley était toujours assoupie. Il leur fallut attendre les alentours de midi pour la voir émerger de sa torpeur et les rejoindre dans la cuisine.
- Qu'est-ce que je fais ici ? demanda-t-elle.
Son regard traduisait une confusion extrême. Elle semblait complètement désorientée.
- Tu ne te rappelles de rien ? l'interrogea Snow.
Visiblement sonnée, Ashley se laissa tomber sur le sofa avant d'entamer :
- Je me rappelle que j'étais au lycée, pour rencontrer Henri. Il m'avait donné rendez-vous là-bas, à minuit. La grille était ouverte quand je suis arrivée. La porte aussi. J'étais à peine entrée quand j'ai entendu la grille se refermer. J'ai eu peur. Je me suis réfugiée à l'intérieur. J'ai appelé Henri mais je ne l'ai pas trouvé. Et puis j'ai entendu du bruit, dans la tourelle. Je suis montée jusqu'au clocher. Je n'ai trouvé personne. J'ai cru entendre quelqu'un dans l'escalier. Alors je suis descendue. Quelqu'un m'attendait en bas. J'ai du mal à me rappeler de son visage. Je ne me souviens que de son sourire terrifiant, de ses dents pointues, des poils qui lui couvraient la figure. J'ai eu la peur de ma vie. Je crois que j'ai crié. Et puis, quelque chose s'est abattu sur ma tête et j'ai perdu connaissance. C'est tout ce dont je me rappelle.
Snow et Red échangèrent un regard perplexe.
- L'homme qui t'a assommée, raconta Red, il a essayé de t'enlever, après. Il y a de fortes chances pour qu'il s'agisse de ton mystérieux correspondant. Ashley, tu as failli être kidnappée. Est-ce que tu as conscience des risques que tu as encouru ?
Ashley baissa tristement les yeux. Red poursuivit :
- À vouloir te livrer au premier inconnu, tu ne gagneras rien. Tu es une fille bien, Ashley. Tu mérites d'être heureuse. Seulement, la bonne fée n'existe pas plus que le prince charmant. Et, si Snow n'avait pas été là, tu serais étendue à l'arrière de la fourgonnette de ce vieux pervers.
- Je sais...

Ashley semblait en état de choc. Snow fit signe à Red de ne pas insister. Elles lui laissèrent le temps de se remettre de ses émotions et la forcèrent à prendre une collation. Après quoi, Ashley rentra chez elle comme si jamais rien ne s'était produit. Peut-être qu'avoir été dans un état second pourrait l'aider à effacer cette soirée de sa mémoire pour le restant de ses jours. Snow ne savait pas si elle l'enviait ou non. Une part d'elle-même désirait évacuer de ses souvenirs le grondement rauque des treize coups de minuit, la figure et le sourire de cet être mi-homme mi-félin et le vrombissement lointain de la fourgonnette blanche. Une autre part d'elle souhaitait que cette soirée restât fixée indéfiniment dans sa mémoire, comme l'étape d'un voyage qui la rapprochait un peu plus de la lumière et de la vérité. Tiraillée par ces envies contradictoires, elle décida d'abandonner ses réflexions sans réponse. Au sortir de ses songes, son regard croisa celui de Red. En apercevant son reflet dans ses gigantesques pupilles, elle acquit la certitude qu'elle serait capable de tout endurer, pourvu qu'elle pût se mirer, encore et encore, au travers de ces yeux, chaque fois qu'un doute la submergerait.

Print by Glenn Arthur
Je vous souhaite à tous une très bonne Saint-Valentin; même si je n'ai jamais particulièrement aimé cette pseudo-fête, et c'est très probablement la raison pour laquelle Ashley a eu si peu de chance dans cette histoire... J'espère vous retrouver pour la dernière partie de ce drôle de conte, à Pâques ! ♥